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Tu vois, dans la vie, il faut accomplir ses rêves malgré tout ; il y a toujours une bonne raison de ne pas se lancer, il faut aller au-delà.
Nicolas Delesalle
Jésus qui saigne sur sa croix ne me met pas en confiance. Le marketing de l'église m'a toujours stupéfié. On y parle d'amour, mais on accueille le chaland avec de la souffrance brute, un type cloué et qui saigne.
Avec mes soeurs, j'ai grandi dans une sorte de cocon, décoré de soutiens-gorge, de tendresse et de chapelets de mots.
J'ai toujours préféré les regards des perdants, il se passe tellement plus de choses dans leurs yeux, des béances, du doute, le silence. La victoire rend con. La défaite ouvre des brèches fascinantes.
Pourquoi un souvenir qui n'avait aucune aspérité, un moment minuscule qui aurait dû rejoindre l'immense cimetière des minutes oubliées, s'impose à nous ? Il doit y avoir une drôle de magie neuronale qui fait que certains instants restent cramponnés là, sous le front, comme des grenouilles sur d'autres grenouilles, à la saison des amours.
La solitude, c'est se raconter à soi-même des blagues et les trouver drôles. La solitude, c'est consacrer chacune de ses pensées à l'étude d'un temps qui ne s'écoule plus, ne file plus, n'avance pas, compressé, lourd, minéral, pierreux.
Je t'aime trop pour rester avec toi sans plus t'aimer vraiment.
J'ai toujours aimé les balades au cimetière : elles donnent leur juste proportion à nos tracas comme à nos enthousiasmes, elles dégonflent nos baudruches.
Aujourd'hui je regrette de ne pas avoir été une fille ou simplement un garçon plus malin, ce qui revient au même.
Le premier baiser demande l'intrépidité du premier pas sur la lune, il exige le courage de sauter les yeux fermés sans savoir exactement dans quoi on saute et, à travers les siècle, les générations sont liées par la même paralysie, la même terreur. Internet et ses vidéos peuvent aller se faire cuire un bœuf, rien ne change, c'est la même pelle, c'est la même trouille.
Les mots sont des menteurs, ils déforment, simplifient, tordent, concassent, prennent le pouvoir et gouvernent
Ma mère ne s'invente pas, aucune mère ne s'invente, mais la mienne encore moins que les autres. J'ai dix ans et j'en suis amoureux.
C'est souvent là, dans la rondeur élastique qui couvre la mâchoire que l'enfance s'accroche le plus longtemps.
Personne n'a jamais réussi à photographier cet instant magique et maudit qui fait d'une jeune fille une femme, d'un jeune homme un homme et d'une enfance un souvenir.
Papito, du haut de tes ruines, tu m'as dit la vérité toute nue alors que je l'aurais préférée accrochée à un ballon d'hélium et vêtue d'un truc sexy. Tout passe, tout casse, tout lasse. Ça m'a longtemps agacé. J'ai eu du mal à l'accepter. J'ai longtemps eu le sentiment de vivre à blanc, pour rien du tout.
Les adultes font souvent mine de s'étonner du désespoir baroque des adolescents, mais cet étonnement est un leurre, ils n'y croient pas eux-mêmes ; au fond, ils savent très bien à quel point c'est compliqué de se relever quand on tombe de son enfance.
Les hommes tombent parfois de la toile qu'ils ont passé leur vie à tisser et, dans leur chute, agissent exactement contre ce qu'ils sont.
L'accident, le cancer et toutes les saloperies du monde déclenchent la révolte, la rage puis la résignation, tiercé perdant dans l'ordre. La mort de vieillesse, on doit l'accepter d'un tenant, au comptant, toutes taxes comprises. C'est la vie.
Le courage, la lâcheté, la peur, l'insouciance ne sont peut-être que des états quantiques finalement, des images floues qui dépendent des circonstances, des interprétations, du statut de l'observateur et qui changent tout le temps, à toute vitesse.
Boris Vian pulvérisait tous les a priori, il était par définition, imprévisible et je tournais chaque page en quête de la prochaîne invention langagière. Je découvrais qu'il était possible de s'amuser en lisant, de tordre les mots pour en essorer le sens et son espiéglerie d'ingénieux ingénieur me rendit fou amoureux.
La mort de vieillesse, on doit l'accepter d'un tenant, au comptant, toutes taxes comprises. C'est la vie.
Ces livres labourèrent la terre dure de mon esprit vide, mais rien n'était encore semé sur ces champs désolés balayés par le souffle de l'aventure.
On ne peut pas se coucher tous les soirs en se disant que c'est le dernier. On ne peut pas vivre chaque instant comme si on allait mourir dans l'heure suivante. C'est un idéal de cinéma, de littérature ou d'adolescent. Ce n'est pas la vie. La vie est fatigante. Il faut aller se coucher.
On ne devrait peut-être pas trop s'approcher des choses qu'on imagine. On devrait les laisser au loin, intactes.
Heureusement qu'on meurt, c'est comme ça qu'on sait qu'on existe.
C'était une époque où l'on regardait la télé, le soir, en famille. En ces temps reculés, dépourvus de connexion internet, il n'était pas rare qu'une famille nucléaire, de type père-mère-enfants, regarde ensemble, au même moment, une émission à la télévision.
La vie est courte comme un flash, mieux vaut penser à sourire pour la photo, ça j'en suis certain.
Je suis allé à la piscine pour me nettoyer le yeux avec le chlore comme chaque fois que je ne vois plus rien. J'ai enfilé mon maillot noir, le bonnet argenté qui me donne un air de spermatozoïde de l'espace et j'ai plongé pour chercher de l'air au fond du grand bassin.
Je n'ai jamais compris pourquoi les humains s'embrassaient, pourquoi ils se frottaient les muqueuses de cette façon-ci, pourquoi ils se mélangeaient la salive de cette façon-là. Les autres animaux ne font pas ça. Les autres animaux se reniflent le cul et puis c'est tout.
Les profs n'ont pas de prénom. Ils n'ont qu'un numéro à jouer et leurs noms de famille s'échangent début septembre dans les cours de récré, comme des sésames vers le savoir ou des promesses pour l'ennui.
Il y a des paysages au-dessus des mots.
Regarder la mer pendant des heures est une activité mystique qui vous habille d'une robe de bure invisible. A la longue, l'océan se mue en écran sur lequel se projettent des images floues.
On ne rend jamais assez hommage à ceux qui donnent.
Le courage, c'est souvent de la peur qui se marche dessus.
Pendant neuf jours, j'allais devenir un milliardaire du temps, plonger les mains dans des coffres bourrés de secondes, me parer de bijoux ciselés dans des minutes pures, vierges de tout objectif, de toute attente, de toute angoisse.
Mes soeurs et ma mère pleuraient comme des Roumaines officielles, les femmes pleurent en Europe de l'Est, c'est la tradition, ça chasse les mauvais esprits.
Les nuits d'été, les femmes abandonnent les autoroutes et la mélancolie aux hommes.
Aucun professeur ne laisse indifférent, tous donnent quelque chose que nous emporterons jusqu'au caveau.
La vie, c'est l'oubli, l'oubli, c'est la vie. quel a été mon tri ? Qu'ai-je choisi de sceller dans ce machin cabossé qui me sert de mémoire et qui me définit ?
Sébastien m'avait acheté deux Raider, les anciens Twix. C'était incroyablement généreux. Deux Twix à treize ans, c'est un mois de salaire.
Je ne lisais pas, je suçais les os, j'aspirais la substantifique moelle, je ne dormais plus.
Certaines personnes ont une étincelle étrange dans les yeux quand ils vous écoutent, ils me font penser à ces téléviseurs en mode veille dont le voyant rouge témoigne d'une vie intérieure intense. Avec le temps, j'ai appris à reconnaître dans cette lueur les signes de la bienveillance.
Il souffrait de la maladie d'Alzheimer. Sa mémoire était un paquet déchiqueté après Noël, les enfants Alzheimer s'étaient barrés avec le cadeau.
Les profs sont là, debout sur l'estrade, sous les feux d'une rampe invisible, pour toute une vie, et nous ne faisons que passer. Ils sont les Bill Murray d'un Jour sans fin scolaire : ils nous séduisent toute une année, mais nous disparaissons en juillet et il leur faut tout recommencer, encore et encore. Pourtant, ils savent bien qu'en partant, nous les emportons avec nous, un peu.
C'est à mon tour de pratiquer ce dur métier, ce métier impossible, cent soixante- huit heures de travail par semaine, pas de week-end, pas de vacances, pas d'autre salaire que la critique rétrospective : parent.
Avant de devenir un homme, un vrai, de ceux qui préfèrent être achevés d'une balle dans la tête plutôt que de subir un jour de plus cette foutue rhinopharyngite, j'étais un enfant comme les autres : j'adorais avoir un peu de fièvre.
Pour clore les bans, j'ai choisi la pire phrase de l'Univers, la pire excuse, et en plus j'en suis fier, je ne me rends pas compte, je ne me rends compte de rien : "Je t'aime trop pour rester avec toi sans plus t'aimer vraiment." Je mériterais la prison pour cette phrase. Des coups de fouet. Le rouet. Le pilori. L'écartèlement.