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Il n'y a pas d'amour seul comme il n'y a pas d'écriture orpheline.
Nina Bouraoui
Mon père dit que les morts sont de plus en plus présents au fur et à mesure de la vie, comme le manque, comme la tristesse ; on ne se remet jamais de la mort des siens ; la vie est aussi faite des absents qui brûlent les coeurs.
Aujourd'hui : adverbe désignant le jour où on est. Définition risible quand aujourd'hui n'est pas un repère mais un simple rappel d'hier, identique à avant-hier et à demain.
La nuit est un masque. La nuit efface les formes. La nuit supprime les témoins. La nuit rend fou aussi. Ce n'est plus la réalité. C'est une autre vie, sans visage, sans angle, sans matière. La nuit est une noyade.
On ne tire jamais de traits définitifs, on le sait, le passé est un serpent qui mord.
L'écriture et l'amour procèdent de la même tension, de la même joie, de la même perdition.
Écrire est un acte. Le livre est le résultat d'une liaison, d'un désir, d'un rapport. Il s'agit de sexualité.
Je ne sais pas si l'amour est le sacrifice de l'écriture, ou si l'écriture efface, lentement, l'amour.
Tout se défait, tout se sépare, et je ne sais pas si l'on retrouve un jour les choses que l'on a perdues.
La nuit force les ombres. Elle est pleine et sans forme. Elle donne et retire. Elle creuse et comble. Elle révèle et déprécie. La nuit est le mensonge du jour.
Ne pas être algérienne. Ne pas être française. C'est une force contre les autres. Je suis indéfinie. C'est une guerre contre le monde. Je deviens inclassable. Je ne suis pas assez typée.
Je fréquentais l'église, seul lieu où le silence n'est pas inconvenant.
L'Algérie est un homme. L'Algérie est une forêt d'hommes. Ici, les hommes sont noirs à force d'être serrés. Ici, les hommes sont seuls à force d'être ensemble. Ici, les hommes sont violents à force de désir.
Les larmes ont besoin de solitude pour bien rouler, elles méprisent la communauté, la communauté les méprise et elles ne sortent que d'une seule gorge.
Mon affinité avec la mort a commencé dès mon plus jeune âge non pas par excès de morbidité mais par conscience de la finitude et plus exactement de Ma finitude. Mon corps d'enfant contenait à lui seul tous les signes infaillibles d'un défaut d'infini.
La tristesse me donne bien des mots et des maux, je la touche du bout des doigts et l'empoigne parfois, je bois dans sa coupe et elle me couvre de ses ailes à l'envergure inhumaine, elle enfreint les lois, scalpe la joie, elle transforme les autres en ombres, en empreintes d'ombres, en filtres invisibles, en Noir.
Je sens l'amour qui vient avec le matin. Avec le chant des oiseaux. Avec le petit chien sous nos draps. Avec la voix de ma grand-mère qui ouvre les volets. Encore une belle journée. Avec l'été français. C'est un amour étrange. Un peu brutal.
Le désir n'est pas isolé. Il est multiple et secret. Il est par les autres et pour les autres.
Je ne suis pas innocente. J'ai toujours succombé à la beauté. J'écris pour dire ce ravissement-là. Ce livre est l'histoire des strates amoureuses qui me composent.
Je vois Sami partout dans mes mots et je sens que je peux pleurer ce soir, parce qu'une année vient de passer et qu'il n'est pas revenu. Et qu'il ne reviendra peut-être plus.
Sans désir, je suis sans roman.
Passé la quarantaine, les choses changent, on a un autre angle de vue de l'existence, on n'est pas plus sage, on manque d'illusion, c'est ça la vraie vieillesse, ce ne sont ni la peau changée ni les rides.
Toute notre vie consiste à se battre contre nous-mêmes.
J'alimentais mes heures de solitude grâce à un loisir séduisant mais dangereux : l'illusion.
L'amour et l'écriture ont la même origine charnelle, ils absorbent les mêmes forces, ils viennent du même brasier. L'écriture est un acte presque sexuel, le plus intime qui soit.
Il y a une violence amoureuse. Il y a un épuisement aussi.
Ma vie algérienne bat hors de la ville. Elle est à la mer, au désert, sous les montagnes de l'Atlas. Là, je m'efface enfin. Je deviens un corps sans type, sans langue, sans nationalité. Cette vie est sauvage. Elle est sans voix et sans visage.
Ce n'est plus du sang qui coule dans mes veines mais des gouttelettes de désespoir ! elles tombent du coeur, sillonnent mes entrailles et perlent mon front, elles brouillent l'espace, bouchent l'horizon et rapetissent mon avenir !
On espère beaucoup d'une fille, de son histoire, de son corps. C'est un grand mystère une fille.
Je me disais que pour prendre conscience de la vie il fallait changer d'angle.
Je m'adapte à tout. Très vite. C'est comme une folie, cette faculté d'adaptation. C'est plusieurs vies à la fois. C'est une multitude de petites trahisons.
Il disait que seul le sommeil était intime, qu'il signifiait bien plus que la jouissance. J'avais l'image d'une transmission des rêves comme si les cerveaux se reliaient en secret, échangeant leurs informations, déroutant le cours de leurs songes.
Avant mon père me disait qu'on ne connaît jamais vraiment les gens. Qu'on peut les aimer pendant toute une vie et être encore surpris.
Puis le désir devenait liquide. Une sève nous enivrait. C'était la vie, l'évidence de la vie. Elle sécrétait du plaisir. Le liquide remplissait nos mots, nos histoires, nos déclarations, nos passés et notre avenir.
Je suis opposée au mariage homosexuel : ce n'est pas cela qui nous donnera plus de respect. Que les homos aient des droits comme tout le monde. Mais si on est homosexuel, ce n'est pas pour mimer les autres !
Je sais, d'une façon si précise, que ce qui déborde de moi sera, un jour, contenu dans un livre.
J'ai peur d'écrire, comme j'ai peur d'aimer.
Les garçons n'ont pas de coeur, les filles font semblant d'en avoir un.
Les rêves c'est la partie de soi que l'on ne peut pas montrer. Parce que c'est l'âme sans défense.
La nuit est un océan. Elle semble permanente. La nuit est l'ennemi des enfants. La nuit est un adversaire. La nuit est un homme qui persécute les femmes. La nuit creuse les fragilités. La nuit est mortelle.
Écrire, c'est unir la vie intérieure à la vie extérieure. C'est attendre longtemps, sans avoir peur, avant de pouvoir lier l'histoire du monde à son histoire.
L'homosexualité, ce n'est pas une identité. Je pense que le désir et la sexualité ne sont pas dissociables de l'amour.
Les enfants portent mon enfance. Je les aime pour cela. Pour ce qu'ils font réapparaître : les cris dans les vagues, la sieste sur la plage, les yeux vers le ciel, cette grande solitude.
L'amour ouvre le chemin de l'écriture, l'écriture succède à l'amour, s'y mêle ou le défait.
Les hommes sont violents à force de désir. Ce désir est une perte. Il est sans échange. Il va du tout au rien. Il naît de l'ennui. Il naît du fantasme. Il est sec et permanent.
L'amour est ce qu'il y a de plus incertain : sublime dans son envol, hideux quand il se brise sans prévenir.
Parfois on croît connaître ceux que l'on a aimés et on se trompe complètement parce que l'amour n'est pas une science, on n'apprend tout de l'autre qu'une fois qu'on l'a perdu.
Je ne sais pas si on doit parler des morts au passé. Les morts sont chaque fois ressuscités par notre langage, par notre manière de les raconter, ce sont eux les livres, ce sont eux l'écriture qui court, ce sont eux les petits papiers amoureux.
Il me semblait naturel de me presser contre lui, à l'abri du monde que j'oubliais.
Quitter l'Algérie est un acte violent. C'est un arrachement qui implique la mémoire, son noyau, son intégrité. C'est se détourner de soi. C'est se rendre à l'errance Quitter sa terre. Quitter sa définition.