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Parfois, Achile en a marre. Il n'en peut plus de tout ce bruit. De toute cette agitation. De tout ce désordre. Alors il sort. Il va se promener le long de la rivière.
Olivier Adam
Personne ne sait quand exactement les fissures deviennent des failles, puis se muent en gouffres infranchissables.
Vu de près, pris dans le cours ordinaire, on ne voit rien de sa propre vie.
De l'extérieur on ne sait rien de ce qui se noue entre les êtres, de ce qui se joue dans un couple. On émet des hypothèses, des jugements hâtifs mais au fond on ne sait rien, c'est beaucoup trop profond, beaucoup trop complexe.
Je me trompais, personne ne reste longtemps à la fois dehors et dedans, personne ne tient longtemps en lisière. Ma vie ne formait qu'un même ensemble, pas de compartiments, aucun espace réservé. Une même vie. Peu à peu rognée, corrompue, viciée.
Mon expulsion du foyer familial m'apparaissait comme un premier pas m'entraînant contre mon gré vers ma propre disparition.
Ca m'étonnait toujours cette capacité qu'ont les enfants à oublier, redonner sa chance à qui ne la mérite pas.
Aucune plaie ne se soignait auprès d'elle. Ni les leurs ni les miennes. Elle était là et c'était tout, pendant un moment on ferait la route ensemble. Tant que ça nous conviendrait.
Les hommes sont risibles, elle ajoute. Dans leurs poses. Dans ce qu'ils cachent. Dans leur façon de se débattre avec leur virilité. Leur pudeur. C'est pour ça qu'ils sont si touchants.
J'avais l'impression que mes enfants étaient désormais séparés de moi par une paroi de verre. Je pourrais toujours les regarder mais plus jamais les toucher ni leur parler. J'étais devenue étrangère. J'étais passée de l'autre côté.
Personne ne fait attention à eux. Personne ne fait attention à personne. Chacun est bien trop occupé à faire impression.
De Caroline, il restait des photos, des souvenirs de rien. Mais ce qui restait gravé, c'était le sentiment, l'os du sentiment que chacun éprouvait pour elle. Une chose indéfinissable et abstraite... Ce qui reste gravé, c'est le lien. Une chose physique.
Je me sens vide. Tout le temps, je pense à ça. Ce vide à l'intérieur. Je me dis que si je pouvais me sonder en profondeur, m'ouvrir la tête et le coeur et voir dedans, je ne verrais rien. Rien. Du vent, un désert, un champ de glace où rien ne bouge.
Elle me montrait des photos et ça lui faisait du bien. Ca lui faisait du bien parce qu'ils revivaient, ses morts ses fantômes, parce que le pire c'était de les ranger dans les tiroirs.
Il se sentait toujours comme un puzzle, complètement éparpillé en dedans.
On ne sait jamais rien de ce qui se noue entre les êtres, eux-mêmes souvent l'ignorent, et le découvrent en se perdant.
Ce qui reste gravé, c'est la tendresse. Une sensation presque physique.
Parfois il y a des choses tellement absurdes qu'elles finissent par prendre une texture d'évidence inquestionnable.
Je l'ai prise dans mes bras. Je ne savais plus faire que ça. Les mots manquaient, ne restaient plus que les gestes.
Infiniment nous cherchons un abri. Un lieu où le vent siffle moins fort. Un endroit où aller. Et cet abri est un visage, et ce visage nous suffit.
Personne n'a envie de mourir. Tout le monde veut vivre. Seulement, à certaines périodes de notre vie, ça devient juste impossible.
Je l'ai épousé parce qu'il m'aimait et qu'auprès de lui je me sentais en sécurité. Auprès de lui j'avais moins peur.
Je n'étais plus d'ici. Et puisqu'il semblait acquis que je ne serais jamais non plus d'ailleurs, j'étais désormais condamné à errer au milieu de nulle part.
La pensée s'affaisse aussi bien que les chairs. Et l'esprit se grippe d'être repu. Il ne lui convient que d'être affamé.
Au collège, au lycée on parlait d'élargir les cerveaux mais le temps se chargerait bien vite de les réduire au minimum syndical.
Elle lui sourit. Putain ce sourire. A cet instant Julien jure que si quelqu'un s'avise de lui faire du mal, il lui éclate la gueule, il lui fait bouffer ses dents. Claire le bouleverse par la seule grâce de son sourire si mince.
Avec les années je ne m'arrangeais pas. Au lieu de m'endurcir je devenais de plus en plus sensible.
Quand j'ai rouvert les yeux nous étions gelés tous les trois, le bruit de la mer était devenu le monde entier, nous contenait, nous digérait et c'était doux d'être ainsi dévorés, ensevelis, noyés, oubliés pour de bon.
Je me relève et je me dis parfois que le passé est une fiction, qu'on peut en faire table rase, qu'on peut bâtir sur des ruines, et vivre sans fondations. Il m'arrive aussi de penser le contraire.
Je ne peux que constater que ni l'une ni l'autre ne tenaient à moi, quand moi j'aurais passé ma vie à tenir aux autres, à m'y accrocher même quand ils n'auront été que des planches savonneuses, des équipiers douteux, des comparses peu fiables, incertains.
Elle est en colère c'est tout. En deuil. C'est vieux comme le monde. Sidération, culpabilité, colère. La valse à trois temps. La danse de ceux qui restent.
Le silence, par exemple. Ce jour-là comme n'importe quel autre il emplissait tout, me coinçait la gorge dans un étau. Je pouvais le sentir me figer les sangs, me creuser les poumons d'un vide immense. Un cratère sans lave. Un désert.
J'ai 31 ans et ma vie commence. Je n'ai pas d'enfance et désormais n'importe laquelle me conviendra.
Cette fois j'allais m'occuper d'eux, m'y consacrer à plein temps, j'allais cesser de vivre à leur côté pour vivre avec.
Grandissant ici on était de nulle part et de partout à la fois, on était pour toujours excentrés, à l'intérieur et à l'extérieur dans le ciel d'un bout à l'autre du monde, on demeurait sans racines, sans attaches.
C'est ça la famille. Des gens qui vivent ensemble sans rien avoir à se dire, qui s'aiment sans raison. C'est ça la famille : une petite meute animale.
Ressemble à une vieille refaite plutôt qu'à une vieille tout court, ajoute le pathétique à l'irréversible.
Que savons-nous de ceux qui nous embrassent alors que nous sommes encore des enfants ? Rien. Nous les embrassons en retour et c'est tout...