Images
Les noms que nous portons, que nous n'avons pas choisis sont plus qu'une sorte de peau qui a grandi avec nous et que tout en nous a nourri et irrigue.
Pascal Quignard
Il n'est pas à sa place. C'est la définition même de la saleté : Quelque chose n'est pas à sa place. Un soulier est propre sur le plancher. Il est sale pour peu qu'on le pose sur la nappe, parmi les fleurs, l'argenterie et les verres alignés.
La jalousie précède l'imagination. La jalousie, c'est la vision plus forte que la vue.
Le silence est pour les oreilles ce que la nuit est pour les yeux.
Le circuit, tel est le social. Court-circuit la folie. Hors-circuit l'amour.
Demeurant sérieux, il soutint qu'on mentait toujours, quoi qu'on dît. Et qu'on mentait d'autant plus qu'on mettait plus d'application ou plus de force à soutenir la vérité.
Le chef d'orchestre fait tout le spectacle de ce à quoi l'auditeur obéit. Les auditeurs s'associent pour voir un homme debout, seul, surélevé, qui fait parler et taire à volonté un troupeau qui obéit.
Un livre doit être un morceau de langage déchiré, un morceau que l'on arrache à la parole.
Le seul lieu de l'espace où peuvent se rencontrer le lecteur et l'auteur est dans le point final.
Parler, c'est faire figure. Ecrire, c'est disparaître.
Et elle murmure sans fin dans l'incompréhensible des feuilles, dans les caprices incompréhensibles des brises, dans l'existence incompréhensible des oiseaux et dans celle, incompréhensible, des fruits.
Je pense qu'il est difficile de maintenir la mémoire de ce que nous cachons à nos proches.
Le plaisir de devenir un duo indivisible, invisible, indénouable, insanctionnable, est un des plus beaux trait de l'amour.
La nuit est à la source des mots : le rêve qui hallucine des choses qui ne sont pas les fait naître.
Les deux sexes humains qui se contemplent en dehors de la sexualité, dans l'amour, croient qu'ils s'ajointent comme le feraient des symboles de terre cuite. L'amour est une folie de l'échange.
Il y a quelque chose dans le langage qui s'égosille - et que montrent bien les chants des oiseaux quand le soleil s'élève dans le ciel et le désassombrit.
Qu'est-ce que l'amour ? Ce n'est pas l'excitation sexuelle. C'est le besoin de se trouver tous les jours dans la compagnie d'un corps qui n'est pas le sien. - Dans l'angle de son regard. - A portée de sa voix.
Or l'amour, c'est cela : la vie secrète, la vie séparée et sacrée, la vie à l'écart de la société.
C'était un homme extrêmement sentimental. Qu'est-ce qu'un homme sentimental ? Quelqu'un qui adore ne pas manger seul.
Ceux qui ne sont pas dignes de nous ne nous sont pas fidèles.
Se taire, aimer, écrire, c'est un perpétuel triomphe en toute chose de l'adieu.
Le langage est l'équivalent pour la bouche vide du rêve pour les yeux fermés.
Ecrire, c'est entendre la voix perdue.
La revigoration propre à l'amour tient plus à l'angoisse émerveillée où il introduit qu'aux courts plaisirs qui se renouvellent dans le corps.
Fournir une raison dévaste l'amour. Procurer un sens à ce qu'on aime, c'est mentir.
L'aimé aimante l'amant.
Tout nom manque sa chose. Quelque chose manque au langage. Aussi faut-il que ce qui lui est exclu pénètre la parole et qu'elle en souffre.
Les images ne sont pas faites pour la lumière. - Tout rêve le sait et chaque nuit le prouve.
Il y a une naissance en toute connaissance.
On ne se livre à une femme qu'après l'intimité. Cette intimité est extrêmement dangereuse, totalement passionnante. Plus rien n'est en arrière des yeux. Plus rien n'est en réserve de la vue.
Il faut dire que l'enfer est le nom du monde pour tous les habitants du monde.
Le désir, c'est le désastre. - Dériver s'écarte de la rive. Désirer s'écarte de l'astre.
C'est peut-être cela, aimer : attendre.
Le sexuel est l'innommable. Tout l'amour se voue à ce secret de l'innommable.
Oratio, c'est le langage humain. Dictio, c'est le fait de prendre la parole. Un discours écrit n'est pas une parole en l'air.
La notoriété, quand on en use, tend toute la vie au miroir, dans une effrayante capture de soi.
Le faucon pèlerin fond sur le canard colvert. Le sifflement du vol en piqué, dû à la rapidité de la chute, sidère la proie.
En 1530 Robert Estienne utilise l'accent aigu pour distinguer les participes passés de la première conjugaison, de la première personne de l'indicatif présent.
Tout mot retrouvé est une merveille.
On ne peut pas mentir aux aphasiques. Les aphasiques ne comprennent plus les mots mais la perception qu'ils ont de la sincérité du corps de celui qui parle est chez eux un sens infaillible.
La première attache au regard de la mémoire dans l'amour véritable (dans l'amour passion, dans l'amour qui se distingue du désir, lui qui n'a pas besoin d'être personnel et qui ne cherche pas la personne dans l'autre) est la voix.
Les mots que l'on prononce ne sont pas les mots qu'on écrit. Autre syntaxe, autre monde.
Vieillesse et mort curieusement s'opposent. La vieillesse dégénère. La mort regénère, recycle. - La mort brasse le brassé.
Il est possible que la naissance de l'amour soit l'obéissance à une voix. A l'intonation d'une voix.
Il vaut mieux vivre qu'avoir une existence sociale intense.
Seul le silence permet de contempler l'autre.
C'est de l'intérieur de soi que vient la défaite. Dans le monde extérieur il n'y a pas de défaite. La nature, le ciel, la nuit, la pluie, les vents ne sont qu'un long triomphe aveugle.
Eprouver en pensant ce qui cherche à se dire avant même de connaître, c'est sans doute cela, le mouvement d'écrire.
Je ne pense pas qu'il faille passer sa vie à attendre des semaines de quatre jeudis pour sombrer tout à coup dans l'éternel jeudi de l'éternelle semaine où il n'y aura plus de semaines et où il n'y aura plus de jeudis.
L'amour est cet essor, cette issue indicible, cette ekstasis, cette adhésion à l'autre bout du monde.