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Et-puis la parole tourbillonna jusqu'au secret de nous-même…ô inconnue… vertige de monde… une clameur de langues, de peuples, de manières qui se touchaient entre elles, se mêlaient, posaient intactes chaque brillance singulière au scintillement des autres.
Patrick Chamoiseau
Porter la liberté est la seule charge qui redresse bien le dos.
Mais l'En-ville nous ignorait. Son activité, ses regards, les facettes de sa vie (du matin de chaque jour aux beaux néons du soir) nous ignoraient […]. Nous voyions l'En-ville d'en haut, mais en fait nous ne le vivions qu'au bas de son indifférence bien souvent agressive.
La sève du feuillage ne s'élucide qu'au secret des racines.
La douce France, berceau de notre liberté, l'universelle si généreuse, était en grand danger. Il fallait tout lui rendre. […] Nous trouvâmes dans l'armée une perspective ouverte de devenir français, d'échapper aux békés. […] Nous fûmes des milliers à devancer les mobilisations
L'urbaniste occidental voit dans Texaco une tumeur à l'ordre urbain. Incohérente. Insalubre. Une contestation active. Une menace. On lui dénie toute valeur architecturale ou sociale. Le discours politique est là dessus négateur.
Texaco était ce que la ville conservait de l'humanité de la campagne. Et l'humanité est ce qu'il y a de plus précieux pour une ville. Et de plus fragile.
Longtemps, je me considérais comme de passage dans cet En-ville, avec dans l'idée d'entreprendre, sitôt mes poches bien pleines, un Noutéka des mornes… pauvre épopée de mon pauvre Esternome… Je me la ressassais dans ces lits misérables ou j'inspirais de la poussière… […] la misère des cœurs soucieux de s'y grandir […], pauvre épopée, levée complice d'une amertume
La violence est un écosystème. Un équilibre à moitié clos, incertain, qui a besoin d'un oxygène particulier, et d'une spirale de conditions particulières.
Vers cette époque, je commençais à écrire, c'est dire : un peu mourir. Le sentiment de la mort fut encore plus présent quand je me mis à écrire sur moi-même, et sur Texaco. Je vidais ma mémoire dans d'immobiles cahiers sans en avoir ramené le frémissement de la vie qui se vit, et qui, à chaque instant, modifie ce qui s'était produit.
Les notions n'existent que par leur opposé.
Je connus des amours semblables avec des hommes différents. Toujours avec le même compte de plaisir et de larmes, de brulures et de mystères…illusion toujours neuve...
Le point-virgule s'est imposé, je ne sais pas pourquoi, peut-être l'idée du flux de conscience, de l'instabilité mentale, de la saisie qui ne raconte pas. Ce n'est pas le point-virgule de Flaubert.
Les cercueils rouges envoyèrent des racines ; et l'on vit s'élever au dos long des années, plusieurs arbres d'agonie, branches tordues de douleurs. Les observer ramenait des souvenirs qu'on ne possédait pas. Ça raidissait en toi comme un pajambel triste […] mais qui va faire un livre sur ça ?
Chaque livre, pour moi, libérait un parfum, une voix, une époque, un moment, une douleur, une présence ; chaque livre m'irradiait ou m'accablait d'une ombre ; j'étais comme terrifiée de sentir sous mes doigts ces pétillements de l'âme noués dans une même rumeur.
Dans sa bouche, la langue française semblait infinie et chaque mot entrainait des dizaines et des dizaines de mots avec un allant de rivière dévalante.
Il faut désormais, à l'urbaniste créole, réamorcer d'autres tracées, en sorte de susciter en ville une contre-ville. Et autour de la ville, réinventer la campagne. L'architecte, c'est pourquoi, doit se faire musicien, sculpteur, peintre... - et l'urbaniste, poète.
L'En-ville sent comme une bête, ferme les yeux pour comprendre que tu approches d'une cage, sens pour mieux comprendre, pour mieux la prendre, elle te déroute en te montrant ses rues alors qu'elle se trouve bien au-delà des rues, au-delà des maisons, au-delà des personnes, elle est tout cela et ne prend sens qu'au-delà de tout cela… […] Sens-le Marie-Sophie, sens-le pour voir qu'il vit vraiment.
Te perdre me révéla combien nous sommes formés à ceux que nous aimons, comment nous sommes inaptes à nous rassasier d'eux, de leur présence, de leurs voix, de leur mémoire, comment jamais assez nous ne les embrassons... jamais assez.
La voix de De Gaulle s'écria "Mon Dieu, Mon Dieu…". Je crus qu'un vieux-nègre assassin lui avait allongé un coup de sa jambette. […] On dit qu'il hurla que nous étions foncés, mais je n'ai pas entendu cela.
Je pleurai aussi de consternation en voyant à quel point les conteurs étaient vieux, et combien leur voix isolées du monde semblaient s'enfoncer dans la terre comme une pluie de carême derrière laquelle je galopais en vain.
Les békés inventèrent le cachot […] Leurs pierres ont conservé grises des tristesses sans fond. Les présumés coupables n'en sortaient plus jamais, sauf peut-être avec les fers aux pieds, le fer au cou, le fer à l'âme pour fournir un travail au-delà des fatigues.
La volonté profonde de tout homme, de tout peuple, de toute communauté quelle qu'elle soit, c'est d'être libre, de sentir son génie éclabousser son lieu et l'inscrire dans le monde.
Les jours passèrent dans l'effacement du monde que provoque la mort des personnes aimées. Une négation du temps.
Réchauffe ta parole avant de la dire. Parle dans ton coeur.
Je voulais qu'il soit chanté quelque part dans l'écoute des générations à venir, que nous nous étions battus... pour nous conquérir nous-mêmes.
Savoir parler c'est savoir retenir la parole. Parler vraiment c'est d'abord astiquer du silence. Le vrai silence est un endroit de La Parole.
A force de vivre seul, j'étais devenu d'une sensibilité semblable à un champ de ruines.