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Les civilisations à leur apogée aiment contempler l'apogée des civilisations disparues et frissonner devant l'avenir.
Patrick Deville
En ce moment du microscope et de la seringue absolument modernes, s'éteint l'alexandrin, tué d'un coup de maître par le jeune poète parti vendre des fusils au roi du Choa, Menelik II, futur empereur d'Ethiopie.
Rien de ce qui peut s'enseigner ne mérite d'être appris, même si toute ignorance est coupable.
On sait que souvent les génies se laissent abuser. On connaît leur naïveté. Ceux-là ne feraient pas de mal à une mouche, qui inventent, pour le seul plaisir de résoudre une énigme, des armes de destruction massive.
Yersin est un homme seul. Il sait que rien de grand jamais ne s'est fait dans la multitude. Il déteste le groupe, dans lequel l'intelligence est inversement proportionnelle au nombre des membres qui le composent. Le génie est toujours seul.
Sans le hasard ni la chance, le génie n'est rien.
Dans le monde des savants, il y a peut-être plus de jalousie, de mauvaise foi et de déceptions que partout ailleurs.
Un génie est peut-être au fond un malade mental. Il s'en faut de si peu.
Le portrait de l'ami est toujours un autoportrait, on lui prête les vertus qu'on aimerait lire en miroir.
Ca peut être un but dans la vie : consumer ses jours en d'austères études en attendant à son tour l'explosion d'un vaisseau dans le cerveau.
En avançant dans la découverte de l'inconnu, le savant ressemble au voyageur qui atteint des sommets de plus en plus élevés, d'où sa vue aperçoit sans cesse des étendues nouvelles à explorer.
Ce qu'ils nous crient et que nous feignons souvent de ne pas entendre : c'est qu'à l'impossible chacun de nous est tenu.
Bientôt entre la peste et le choléra il n'y aura plus à choisir mais à guérir.
Un individualiste comme souvent le sont les altruistes. C'est plus tard, de trop aimer les hommes, qu'on devient misanthrope.
Maintenant Yersin est un arbre. Etre arbre c'est une vie, et c'est ne pas bouger. Il atteint à la belle et grande solitude. A l'admirable ennui.
Demander de l'argent pour soigner un malade, c'est un peu lui dire la bourse ou la vie.
Avant que les Chinois qui se croient tout permis se permettent de donner des noms chinois à leurs villes, et jusqu'à leur capitale, n'importe quel pékin pouvait s'y retrouver sans ouvrir l'atlas. C'est donc à Guangzhou que débarque Yersin.
Rien ne naît de rien. Tout ce qui naît doit mourir. Entre les deux, libre à chacun de mener la vie calme et droite d'un cavalier en selle.
Le pigeon est un peu le rat du ciel, un rat auquel on aurait greffé des ailes avant de le repeindre en gris.
Sur le bureau, un livre de Leonardo Sciascia dans lequel une phrase est soulignée : "La science, comme la poésie, se trouve, on le sait, à un pas de la folie."