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Vous avez eu l'indulgence de faire allusion concernant mes livres à "l'art de la mémoire avec lequel sont évoquées les destinées humaines les plus insaisissables." Mais ce compliment dépasse ma personne.
Patrick Modiano
Il a démarré, comme la première fois, sur les chapeaux de roues, et de nouveau, l'automobile a frôlé le portail avant de disparaître.
Il arrive que les enfants éprouvent des exigences plus grandes que celles de leurs parents et qu'ils adoptent devant l'adversité une attitude plus violente que la leur. Ils laissent loin, très loin, derrière eux, leurs parents. Et ceux-ci, désormais, ne peuvent plus les protéger.
Il profitait du désordre et de la nuit. Dans ce monde qui s'en allait à la dérive, il se sentait parfaitement à l'aise.
Je pense en ce moment à la vanité de mon entreprise. On s'intéresse à un homme, disparu depuis longtemps. On voudrait interroger les personnes qui l'ont connu mais leurs traces se sont effacées avec les siennes. Sur ce qu'a été sa vie, on ne possède que de très vagues indications, souvent contradictoires, deux ou trois points de repère.
Nous aurons beau faire, nous ne connaîtrons jamais le repos, la douce immobilité des choses. Nous marcherons jusqu'au bout sur du sable mouvant.
La mémoire elle-même est rongée par un acide et il ne reste plus de tous les cris de souffrance et de tous les visages horrifiés du passé que des appels de plus en plus sourds, et des contours vagues.
J'ai toujours cru que le poète et le romancier donnaient du mystère aux êtres qui semblent submergés par la vie quotidienne, aux choses en apparence banales.
Votre livre terminé est devenu un objet, une sorte de magma un peu pâteux, une masse informe dont vous avez une vision de détails, mais pas de vue d'ensemble.
Le romancier est une sorte de voyant et même de visionnaire.
Des photos comme il en existe dans toutes les familles. Le temps de la photo, ils étaient protégés quelques secondes et ces secondes sont devenues une éternité.
Le livre n'appartient plus à celui qui l'a écrit, mais à ceux qui le lisent.
Vous avez pensé à nos projets ? Encore une fois, je vous laisse carte blanche. Vous écrivez ce que vous voulez.
On dirait que les lampes se sont usées avec le temps. Mais quelquefois un déclic se produit. Hier, j'étais seul dans la rue et un voile se déchirait. Plus de passé, plus de présent, un temps immobile. Tout avait retrouvé sa vraie lumière.
On peut se perdre ou disparaître dans une grande ville. On peut même changer d'identité et vivre une nouvelle vie.
Le train glissait à travers le paysage blanc de neige. Comme il était doux, ce paysage, et amical. J'éprouvais une ivresse et une confiance que je n'avais jamais ressenties jusque-là à voir ces maisons endormies.
Les thèmes de la disparition, de l'identité, du temps qui passe sont étroitement liés à la topographie des grandes villes.
À cause de cette couche, de cette masse d'oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes.
Nous vivons des temps où l'on finit par ne plus s'étonner de rien.
Des amours précaires naissaient à l'ombre du couvre-feu sans que l'on soit sûr de se retrouver les jours suivants.
Pourquoi certaines choses du passé surgissent-elles avec une précision photographique ?
Il faut se méfier de ceux qu'on appelle des témoins.
Il est difficile d'avoir de la lucidité sur ce qu'on écrit. La répétition vient peut-être du fait que je suis travaillé par une période de ma vie qui revient sans arrêt dans ma tête..
Il faut trancher dans le vif comme le chirurgien, être assez froid vis-à-vis de son propre texte pour le corriger, supprimer, alléger.
La psychanalyse ressemble parfois à un roman policier.
Je suppose que vous êtes toujours apatride, ce qui présente de graves inconvénients "par les temps qui courent".
Un écrivain [...] exprime toujours dans ses oeuvres quelque chose d'intemporel.
Depuis que j'écris ces pages, je me dis qu'il y a un moyen justement de lutter contre l'oubli. C'est d'aller dans certaines zones de Paris où vous n'êtes pas retourné depuis 30, 40 ans, et d'y rester un après-midi, comme si vous faisiez le guet.
Chaque nouveau livre, au moment de l'écrire, efface le précédent au point que j'ai l'impression de l'avoir oublié.
On se dit qu'au moins les lieux gardent une légère empreinte des personnes qui les ont habités. Empreinte : marque en creux ou en relief. Pour Ernest et Cécile Bruder, pour Dora, je dirai : en creux. J'ai ressenti une impression d'absence et de vide chaque fois que je me suis trouvé dans un endroit où ils avaient vécu.
J'ai toujours envié les musiciens qui me semblaient pratiquer un art supérieur au roman.
L'annonce de ce prix m'a paru irréelle et j'avais hâte de savoir pourquoi vous m'aviez choisi.