Images
On n'écrit jamais pour les autres, jamais. On n'écrit que pour soi. On prétend dialoguer mais tout n'est que soliloque.
Philippe Besson
Elle oublie sa tristesse, pour un moment. Cette tristesse des femmes seules, qu'on suppose courageuses parce qu'elles ne se plaignent pas, mais qui saute aux yeux de quelque jeune inconnu, parfois, au beau milieu d'une foule.
L'océan c'est la turbulence, c'est aussi l'interminable, l'inintelligible, l'inattaquable. Une pureté qui gronde. Une immensité qui gouverne. Un horizon qui se déchaîne.
Elle persiste à ne pas vouloir voir que les histoires qu'elle invente sont plus proches de la réalité que la vérité elle-même.
Est-on la somme de ses peurs, de ses rancunes, de ses chagrins, de ses souffrances ? Ou celle de ses étreintes, de ses abandons, de ses désirs, de ses plaisirs ? Ou les deux ?
On se tait parce que les larmes, ça coule terriblement mieux dans le silence.
Tu es seul, je regarde ta solitude et ta pauvreté, elles me font plaisir, on a les vengeances qu'on peut.
Il est des silences, parfois, qui blessent plus sûrement qu'une injure.
Lorsqu'un enfant cesse d'aimer sa mère, c'est un monde qui s'écroule.
Partir, c'est un arrachement, une manière d'amputation. Rompre, c'est une violence. Dans l'expatriation, on perd nécessairement une part de soi.
Que le temps passe plus vite, quand l'ennui l'étire.
Ce sont les détails qui me crèvent le plus le coeur, ce sont les choses de presque rien, qui se produisent sans que je les prévoie, surviennent sans prévenir, surgissent dans mon quotidien, qui me mettent à terre.
Cela pèse lourd, une absence. Bien plus lourd qu'une disparition. Parce que avec les morts, c'est commode, on sait qu'ils ne reviendront pas. Tandis que les lointains nous narguent ou nous font espérer.
C'est ça précisément l'amour d'une mère, cette effusion immense, ce débordement comme on le dit d'un fleuve qui déborde de son lit.
Et pour ce rire, combien de larmes ? J'en perçois enfin le sens.
La vie, c'est cela. Une résignation muette au malheur et un consentement à la facilité.
On échappe à rien. Pas plus à son passé qu'à ce qu'on est profondément.
Il faut arranger nos souvenirs. Sans ça, la vie n'est pas supportable.
Je me souviens enfin de cette phrase prononcée alors que j'étais une enfant encore : Quand on a fait l'expérience de la liberté, comment y renoncer ?
Les pires douleurs sont celles que l'on s'inflige.
Les hommes fuient comme la peste les femmes malheureuses qui se moquent d'eux.
C'est accablant en fait, il se trouve toujours quelqu'un pour te raconter ce que tu ne souhaites pas entendre et qui va t'anéantir, pour t'enfoncer un poignard entre les côtes, tout en prétendant n'avoir pour intention que de te secourir.
Il est des incuriosités qui ressemblent à s'y méprendre à des abandons.
Elle se demande si les couples qui ont la météo pour sujet de conversation sont ceux qui n'ont plus rien à se dire ou sont, au contraire, les plus solides.
Je t'écris parce que t'écrire, c'est être avec toi.
C'est idiot, je m'en rends compte, d'énoncer les choses de cette manière, d'autant qu'une intuition ne vaut pas certitude, par essence, mais justement il est des intuitions plus sûres que la vérité elle-même.
Aimer, ce n'est pas s'installer une fois pour toutes au sommet de ses certitudes. C'est douter toujours, trembler toujours. Et puis, demeurer vigilant pour éviter que le poison mortel de l'habitude ne s'insinue et nous tue, ou pire : nous anesthésie.
Si la beauté peut passer ou lasser, si elle peut s'estomper ou finir par ennuyer, le charme, en revanche, ça ne part jamais, c'est là, pour toujours, ça reste, intact.
Un enfant qui n'a que sa mère n'admettra jamais de la partager.
Aimer, ce n'est pas gagner à tous les coups. C'est prendre des risques, faire des partis incertains, connaître la frayeur de perdre sa mise pour mieux savourer le frisson de la douleur.
Je ne suis qu'une femme fuyant les souvenirs qui inlassablement la rattrapent.
Je pense qu'on ne survit pas à la mort de sa mère. Bien sûr, on continue à respirer de l'air, à grandir, à sourire. Mais c'est mort à l'intérieur. On a quelque chose de mort à l'intérieur.
Le temps guérit de tout et ne laisse à la surface que les images que nous voulons bien conserver.
On a le droit de bâtir sa vie sur un pressentiment.
En dépit de mon désir d'atteindre une sorte de tranquillité, je n'ai cessé d'avoir l'esprit traversé de questions. Pourtant, à la fin, je me souviens de cette seule interrogation : est-ce si grave de ne pas aimer, toujours ?
Les hommes d'ici ne sont pas très causants. Ils ne se confient pas volontiers, sûr, ce sont des êtres de peu de mots, de peu de gestes. Ils marchent à l'économie. Des sentiments aussi, ils sont économes.
Nous sommes ainsi faits : une fois qu'on nous a indiqué quel cadeau nous allons recevoir, nous ne brûlons que d'une seule envie, c'est de le recevoir, et au plus vite.
Je me demande parfois quelle femme elle est aujourd'hui. Oui, que deviennent ceux que nous avons aimés et perdus ?
Il dit : Mais je te préfère maintenant avec ce corps alourdi, les traits affaissés, la peau crevassée. Je t'aimerais moins s'il n'y avait pas tout ce temps sur toi, toutes ces années. Je pense même que je ne t'aimerais pas du tout.
Il faudrait toujours rester sur ses gardes. Et ne pas oublier que ceux qui veulent nous nuire sont peu traversés par des états d'âme.
Les intimités les plus violentes demandent à être apprivoisées à nouveau dès lors qu'elles ont été quittées. Il faut refaire tout le chemin une fois qu'on s'en est écartés, repartir de zéro lorsqu'on a perdu la partie, ne serait-ce qu'une fois.
Je lui ai murmuré que je l'aimais. C'est la phrase qui m'est venue. Ce n'est pas une phrase que j'employais souvent. Parfois, on est submergé, les mots déboulent sans qu'on les commande.
Le chagrin, ça nimbe. Et puis ça éloigne de soi tout soupçon de méchanceté et de médiocrité.
Les larmes, c'est un langage. C'est aussi ce qui fait se ressembler les gens, puisque les visages du chagrin sont un seul visage.
Il y a des femmes qui, en perdant leurs hommes, se perdent elles-mêmes.
Bienvenue à L.A. Au fond, ce n'est rien d'autre qu'un gigantesque puzzle. On assemble les pièces et ça finit par faire une ville.
Personne ne dit : Je vais très mal. Je vais me pendre, sauf à être parfaitement dépressif, ou à vouloir attirer l'attention, ou à être un geignard professionnel. Tout le monde dit qu'il va bien. Tout le monde est élégant.
Endosser la responsabilité d'un échec, c'est le plus sûr moyen qu'on ne vous le reproche pas, qu'on n'ose pas vous le reprocher.
Je ne crois pas que le luxe donne de l'élégance à la tristesse, il peut parfois la rendre plus supportable, ou figurer son écrin, c'est tout.
Je n'ai pas d'âge. Les années ont passé, je les ai perdues. Si je ne devais compter que les années heureuses, je serais encore un enfant.