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Il y a des heures sur terre où tout est d'une insupportable beauté, une beauté qui semble si étendue et douce uniquement pour souligner la laideur de notre condition.
Philippe Claudel
Il m'a fallu du temps pour me rendre à cette vérité qui faisait de moi le petit assassin, le meurtrier geignard d'une fleur à peine éclose qui n'a jamais connu la lumière des rêveries.
La nuit a fait éclore dans la ville des milliers de lumières qui scintillent et paraissent se déplacer. On dirait des étoiles tombées à terre et qui cherchent à s'envoler de nouveau vers le ciel.
C'est curieux, la vie. Ca ne prévient pas. Tout s'y mélange sans qu'on puisse y faire le tri et les moments de sang succèdent aux moments de grace, comme ça.
Faire son deuil, c'est lancer une poignée de vie dans les yeux de la mort. On sait qu'elle n'en sera aveuglée qu'un bref instant, mais cela fait du bien.
Il se dit qu'un pays où les prénoms ne signifient rien est un bien curieux pays.
Je me souviens d'avoir pensé que les yeux n'ont pas d'âge, et que l'on meurt avec ses yeux d'enfant, toujours, ses yeux qui un jour se sont ouverts sur le monde et ne l'ont plus lâché.
Pour essayer de comprendre les hommes, il faut creuser jusqu'aux racines. Et il ne suffit pas de pousser le temps d'un coup d'épaule pour lui donner des airs avantageux : il faut le creuser dans ses fissures et lui faire rendre le pus.
Ca, c'est la grande connerie des hommes, on se dit toujours qu'on a le temps, qu'on pourra faire cela le lendemain, trois jours plus tard, l'an prochain, deux heures après. Et puis tout meurt. On se retrouve à suivre des cercueils.
Il ne faut pas, même sans le faire exprès, même sans jamais le vouloir, exhumer l'horreur, sinon elle reprend vie et se répand. Elle vrille les têtes, elle grandit, elle accouche à nouveau d'elle-même.
N'oublie pas que c'est l'ignorance qui triomphe toujours, Brodeck, pas le savoir.
Depuis tout petit, j'aime les questions, et les chemins qui mènent à leurs réponses. Parfois d'ailleurs, je finis par ne connapitre que le chemin, mais ce n'est pas si grave : j'ai déjà avancé.
Je suis enfin prêt. J'enfourche mon vélo. Je fonce. Le vent me renifle. J'ai 10 ans. Le présent est un cadeau somptueux.
Le sentiment que le monde n'est pas si laid, qu'il y a parfois de petites dorures, et qu'au fond, la vie, ce n'est rien d'autre que la recherche de ces miettes d'or.
J'écris maintenant dans mon cerveau. Il n'y a pas livre plus intime. Personne ne pourra le lire celui-là. Je n'aurai jamais à le cacher. Il est à jamais introuvable.
La vérité, ça peut couper les mains et laisser des entailles à ne plus pouvoir vivre avec, et la plupart d'entre nous, ce qu'on veut, c'est vivre. Le moins douloureusement possible. C'est humain.
Rien n'est ni tout noir, ni tout blanc, c'est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c'est pareil...
Le temps ne comptait pas. Le temps, ça n'existait pas.
Mais je suis là, n'aie crainte, il ne peut rien t'arriver, je suis vieux mais j'aurai encore la force, tant qu'il le faudra, tant que tu seras une petite mangue verte qui aura besoin du vieux manguier.
Vivre, continuer à vivre, c'est peut-être choisir une autre réalité lorsque celle que nous avons connue devient d'un poids insupportable ?
Etre seul, c'est la condition de l'homme, quoi qu'il advienne.
Pense à moi comme je pense à toi, car c'est en pensant aux autres qu'on les fait exister, et ça, les guerres n'y peuvent rien changer.
Je ne crois pas que les rêves annoncent quoi que ce soit, comme certains le prétendent. Je pense simplement qu'ils adviennent au moment où il faut, qu'ils nous disent, dans le creux de la nuit, ce que nous n'osons peut-être pas nous avouer en plein jour.
C'est un peu comme les êtres au fond, ceux justement que l'on croise durant des années, mais qu'on ne connaît jamais, et qui se révèlent un jour, sous nos yeux, comme jamais on ne les aurait cru capables d'être.
Si j'avais su. Si j'avais su. Le problème, c'est qu'on ne sait jamais.
Le temps passe pour tous les hommes, mais le nôtre est plus long. J'essuie les crachats. Je n'y prête pas garde : ce ne sont que des filets d'eau qui s'échappent de bouches mortelles. Je les surpasse en écrivant mes romans.
On dit toujours que l'on craint ce que l'on ne connaît pas. Je crois plutôt que la peur naît quand on apprend un jour ce que la veille on ignorait encore.
Je ne redoutais pas ma propre mort par contre, elle me devenait insupportable quand je l'associais à Emelia et à Fédorine. C'est bien la mort des autres, des êtres aimés, pas la nôtre, qui nous ronge et peut nous détruire.
La voiture est comme un coffre jeté du haut d'un pont. On y étouffe. On n'y entend rien d'autre qu'un sourd et inquiétant rugissement. Le paysage tourbillonne dehors. On ne peut rien en saisir.
Tu sais écrire, tu sais les mots et tu sais comment on les utilise et comment aussi ils peuvent dire les choses, ça suffira.
Nous sommes de bien petites mécaniques égarées par les infinis.
L'homme est grand, mais nous ne sommes jamais à la hauteur de nous-même. Cette impossibilité est inhérente à notre nature.
Les vrais royaumes tiennent souvent dans ie creux d'une main.
Il avait l'art de se servir des mots pour leur faire dire des choses auxquelles d'ordinaire ils n'étaient pas destinés.
Chaque matin, je redevenais veuf en m'éveillant du sommeil où l'alcool m'avait versé et courais dans les toilettes y dégueuler mes rêves.
Etre innocent au milieu des coupables, c'était en somme la même chose que d'être coupable au milieu des innocents.
Quand on vit dans les fleurs, on ne pense pas à la boue.
Les bonnes gens partent vite. Tout le monde les aime bien, la mort aussi. Seuls les salauds ont la peau dure. Ceux-là crèvent vieux en général, et parfois même dans leur lit.
Des poux, on en a plein, une mère, on en a qu'une !
Dans le vent léger, au ciel, les hirondelles écrivent d'invisibles poésies.
L'homme est un animal qui toujours recommence. Mais que recommence-t-il sans cesse ? Ses erreurs, ou la construction de ses fragiles échafaudages qui parviennent parfois à le hisser à deux doigts du ciel ?
Sa façon au juge d'appeler les gens "mon ami", ça voulait bien dire qu'en vérité on ne l'était pas du tout, son ami. Il avait l'art de se servir des mots pour leur faire dire des choses auxquelles d'ordinaire ils n'étaient pas destinés.
La haine est une cruelle marinade : elle donne à la viande une saveur de déchet.
Tout le monde aujourd'hui répugne à dire les choses par leur nom : un aveugle est un non-voyant, un animateur de télévision, un artiste, bientôt les morts seront des non-vivants.
La mort n'est jamais difficile. Elle ne réclame ni héros ni esclave. Elle mange ce qu'on lui donne.
La fierté des détenus qui réussissaient à un examen. Je me souviens de la joie de l'un d'eux qui attendait le prochain parloir pour annoncer à sa fille de sept ans qu'il venait d'avoir le baccalauréat. Continuer à être. Redevenir.
Regardez-les courir ! Ils sont si pressés d'y arriver. Et arriver où, je vous le demande ! Là où on ira tous un jour ! Je ne peux pas m'empêcher d'y penser lorsque je les vois comme ça...
J'ai vu assez de tombes ouvertes et fait assez de trous pour en être certain. Creuser c'est apprendre à mourir.
Lorsque l'amour frappe à la porte, il ne reste que la porte, et que tout le reste disparaît.
A huit ans à l'époque c'était pas comme à huit ans maintenant. A huit ans, on savait tout faire, on avait du plomb dans la tête et des bras solides. On était presque adultes.