Images
Que la poésie peut infléchir, fléchir un instant le fer du sort. Le reste, à laisser aux loquaces.
Philippe Jaccottet
Notre oeil trouve dans le monde sa raison d'être, et notre esprit s'éclaire en se mesurant avec lui.
L'eau est de la lumière qui s'enfonce dans la terre.
À partir de l'incertitude avancer tout de même. Rien d'acquis, car tout acquis ne serait-il pas paralysie ? L'incertitude est le moteur, l'ombre est la source. Je marche faute de lieu, je parle faute de savoir, preuve que je ne suis pas encore mort.
Ce qui me surprend toujours, c'est qu'on puisse croire avoir épuisé un paysage, compris un être, achevé une recherche quelle qu'elle soit.
Même sédentaires, même carnassiers, nous ne sommes jamais que des nomades. Le monde ne nous est que prêté. Il faudrait apprendre à perdre.
Il y a pour chaque expérience à décrire des mots qui sont plus vrais que d'autres, même si ce processus, pour l'ensemble de l'expérience, appartient à quelque chose qui est d'un ordre existentiel, et peut-être même inconscient. S'il y a correction ensuite, dans chaque cas, le mot qui dit la chose doit correspondre le mieux possible à la chose vécue.
Cette sorte de sourire que sont parfois aussi les fleurs, au milieu des herbes graves.
Pour qui n'aime plus personne, La vie est toujours plus loin.
L'opposition de la poésie et des grands événements de notre temps, c'est peut-être le combat de la graine et du tonnerre.
Je constate que je ne suis capable d'écrire que sur du concret et sur du vécu. En dehors de la part que je fais aux rêves dans les notes, je ne suis guère capable d'imagination.
Il n'est pas de poésie sans hauteur.
Et voici que le soir se referme une fois de plus, replie son aile rose et dorée pour le sommeil.
En moi, par ma bouche, n'a jamais parlé que la mort. Toute poésie est la voix donnée à la mort.
Toute poésie est la voix donnée à la mort.
J'ai toujours eu dans l'esprit, sans bien m'en rendre compte, une sorte de balance. Sur un plateau il y avait la douleur, la mort, sur l'autre la beauté de la vie. Le premier portait toujours un poids beaucoup plus lourd, le second, presque rien d'impondérable. Mais il m'arrivait de croire que l'impondérable pût l'emporter, par moments.
Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs. Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elles mentent, égarent, ou si elles guident ?
Ouvrir un livre de poésie, c'est vouloir s'éclairer avec une bougie en pleine déflagration de la bombre à hydrogène. Parier pour la bougie en ce cas, est tout à fait insensé, et cependant, c'est peut être dans ce genre de pari que réside notre avenir.
Tout écrivain peut être heureux d'entendre un écho à ce qu'il a fait, même s'il ne visait pas à cela d'abord. Comme on sait, je suis plutôt quelqu'un qui doute de lui-même et de ce qu'il écrit. Ces échos, en effet croissants avec les années, sont un réconfort momentané, dans la mesure où je retombe très vite dans mes doutes.
Les près fauchés, à la lisière des arbres, en demi-cercle ; le regard soudain s'y arrête. C'est un lieu. L'invisible est caché au centre.
Je ne suis pas quelqu'un qui ait beaucoup de souvenirs d'enfance, qui ait jamais été tellement tourné vers son enfance.
On peut encore à tout moment modifier la vie avec beaucoup d'attention et de douceur.
Le poème nous ramène à notre centre, à notre souci central, à une question métaphysique.
La vie vous empêche souvent d'être dans la justesse, il arrive qu'elle contredise ce besoin utopique, mais l'utopie reste une orientation.
Ce qui fait d'un livre une oeuvre d'art, c'est précisément tout ce qui empêche de le résumer en une formule, toute cette richesse, cette beauté secrète qui, bien souvent, contredit d'une certaine manière, serait-ce à l'insu de l'auteur lui-même, le mouvement visible de sa pensée.
Sûrement, quelque chemin que je suive encore, dans quelque labyrinthe que je me risque, si quelque fil d'Ariane doit m'en dépêtrer, ce sera celui de certaines paroles, non pas forcément grandes, mais limpides, comme l'eau des torrents.
Justesse de vie et justesse de parole sont inséparables pour moi.
La difficulté n'est pas d'écrire mais de vivre de telle manière que l'écrit naisse naturellement. C'est cela qui est presque impossible aujourd'hui ; mais je ne peux imaginer d'autres voies.
L'attachement à soi augmente l'opacité de la vie. Un moment de vrai oubli, et tous les écrans les uns derrière les autres deviennent transparents, de sorte qu'on voit la clarté jusqu'au fond ; et du même coup plus rien ne pèse.
À partir de rien. Là est ma loi. Tout le reste : fumée lointaine.
La conscience de n'être jamais qu'un voyageur vous lave les yeux.
Quand on vieillit, le regard intérieur se fait myope. On rêve moins. On devient plus avide et plus avare. On vieillit quand on commence à se retourner.
Les seuls livres dignes d'être lus sont ceux qui rendent sensible, non pas dans des phrases explicites, non pas même par le fil de l'intrigue, mais dans leur texture même, leur tissu de mots, à la fois ce que la vie à d'impossible et ce qu'elle a d'admirable.