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J'ai fermé les yeux, puis je les ai de nouveau ouverts, comme un enfant qui croit que nul ne le verra s'il fait le mort.
Philippe Lançon
Je ne voulais pas que les morts s'endorment et je ne voulais pas m'endormir sans eux.
Je parlais aux morts bien plus qu'aux vivants puisqu'en ces jours-là, je me sentais proche des premiers, et même un peu plus que proche : j'étais l'un d'eux
Il fallait aimer les tuyaux car, s'ils vous violaient, c'était pour votre bien. Ils vous apportaient l'eau, le sucre, la nourriture, les traitements, les somnifères, et finalement la vie, la survie et le soulagement. C'étaient des tyrans bienveillants.
Je préfère les ténèbres grises de la normalité. Leur familiarité m'inquiète. J'aime leur tiédeur et l'angoisse épouvantablement discrète qu'elles diffusent. C'est le bain dans lequel je peux jouer à Archimède, me détendre, me noyer. Il m'arrive de remonter en surface – mais pourquoi ? J'écris en flottant.
On n'échappe pas à l'enfer dans lequel on est, on ne le détruit pas.
Le néant est un mot qu'on n'emploie plus volontiers et que j'avais utilisé dans trop d'articles pour avoir lu trop de poésies, ou les avoir lues trop mal, un de ces mots qui a gonflé dans les consciences en vieillissant comme un cadavre dans l'eau, gonflé et puis crevé.
Ils n'appartenaient pas au monde culturel et en ignoraient la malveillante bienséance.
écrire est la meilleure manière de sortir de soi-même, quand bien même ne parlerait-on de rien d'autre que de soi.
J'aime les femmes dans la mesure où elles résistent à tout ce que les hommes attendent d'elles - où elles les menacent dans leurs attentes.
Je ne supporte pas plus les discours anti-musulmans que les discours pro-musulmans. Le problème, ce ne sont pas les musulmans, ce sont les discours : qu'ils foutent la paix aux musulmans !
L'état amoureux, cette fiction qu'on cherche à écrire avec les moyens du corps
J'étais devenu ce que Pascal aurait appelé un demi-habile : assez informé pour être un patient impatient et méfiant, pas assez informé pour percevoir la nature des obstacles et la lenteur des résolutions. Le peu que je savais accentuait ma solitude. Il arrive toujours un moment où le patient devient son meilleur ennemi.
Il y a certes bien des façons de réviser encore et encore la copie de ses propres deuils. Mais, pas plus qu'à l'école une fois la copie rendue, chacun ne dispose d'une gomme à effacer ce qui a eu lieu.
Je pleure sur ma vie perdue, je pleure sur ma vie future, je pleure sur ma vie obscure, mais vous ne me verrez pas pleurer.
Qui aurait envie de livrer sa détresse et sa solitude à celui qui n'en a pas vraiment éprouvé ?
Tant que nos défauts nous suivent, c'est qu'on est vivant, il n'y a plus qu'à les sculpter.
Vivre dans les phrases n'était pas drôle, vivre en dehors devait l'être encore moins, en parler avec qui les avait lues ne l'était plus du tout. Il y avait dans l'artisanat littéraire quelque chose d'indispensable et d'inutile. Peut-être devenait-il un art quand le ridicule d'écrire se transformait en acte discrètement tragique.
Je voulais écrire une histoire "réelle", mais je ne crois pas à la séparation entre réalité et fiction. Je ne crois qu'à la fiction. Je crois à sa bonne foi, à sa mauvaise foi, à ses clartés, à ses obscurités, à tout ce qu'on veut du moment qu'on s'y soumet.
S'il y a une chose que cet attentat m'a rappelée, sinon apprise, c'est bien pourquoi je pratique ce métier dans ces deux journaux - par esprit de liberté et par goût de la manifester, à travers l'information ou la caricature, en bonne compagnie, de toutes les façons possibles, même ratées, sans qu'il soit nécessaire de les juger.
Le patient est quelqu'un qui doit y mettre du sien, absolument, ce n'est pas un enfant ou un oiseau qui attend la béquée
Toute censure est bien une forme extrême et paranoïaque de critique. La forme la plus extrême ne peut être exercée que par des ignorants ou des illettrés, c'était dans l'ordre des choses, et c'était exactement ce qui venait d'avoir lieu : nous avions été victimes des censeurs les plus efficaces, ceux qui liquident tout sans avoir rien lu.
Si les tueurs étaient des possédés, mes compagnons morts étaient les dépossédés. Dépossédés de leur art et de leur violente insouciance, dépossédés de toute vie.
Je suis toujours agacé par les écrivains qui disent écrire chaque phrase comme si c'était la dernière de leur vie. C'est accorder trop d'importance à l'œuvre, ou trop peu à la vie.
Quant à Paris, c'est une Ville lumière sans lumière. Sa beauté l'éloigne de l'immigrant.
Dans la ville dont le prince est un enfant, l'enfant est presque toujours tyrannique et ingrat.
C'était un vrai cliché, mais j'avais beaucoup lu Pascal dans mon adolescence, à cet âge où l'on n'oublie à peu près rien et où l'on croit à peu près tout, bon ou mauvais, de ce qui vous tombe sous la main.
Les meilleurs sentiments vivaient comme les amis, de lettres, d'enthousiasme et de résignation : c'étaient eux, c'était moi et c'était comme ça.
Leçon de piano posthume : si la main droite joue pour les vivants, la gauche joue pour les morts et c'est elle qui bat la mesure.
C'était parce que les gens sont incurables qu'on doit passer son temps à les guérir malgré eux, en les rappelant à l'ordre.