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Rêver ce n'est pas être libre, c'est une pause pour supporter.
Pierre Ducrozet
La rencontre du capitalisme et du pétrole est explosive. C'est un amour fou, immédiat, la rencontre du glaive et du soufre, la réunion des deux affluents d'un fleuve torrentiel.
Le temps n'est plus oppressant, il accompagne les gestes. Il enlève bien, parfois, les amis chers et les amours, mais il le fait avec douceur, comme on ôte une chaussure. On ne peut, dès lors, lui en vouloir. Il est devenu un compagnon de route, taiseux, rassurant.
Partout où elle passe la liberté de Louis éclabousse les autres. C'est un sauvage, il joue au rythme des oiseaux et des fleuves, rien ne l'arrête, il n'a jamais peur de rien.
Notre modèle économique ne peut pas fonctionner. Tous les piliers sur lesquels reposent nos démocraties sont rongés : le pacte économique (la chance pour tous un leurre), le pacte politique (la représentation est une farce), le pacte légal (la corruption est le mal universel), le pacte bio-écologique. Sur ces colonnes brisées, aucune société ne peut plus s'établir.
Le pire legs que nous laissent nos parents, c'est celui-là : on a bien profité de la vie, à vous de la sauver maintenant.
Personne n'a eu l'idée d'Internet. Nous avons été des centaines à pressentir la chose dans un intervalle de cinq ou dix ans, et cette conjonction a pu donner naissance au réseau.
Tout ce pourquoi j'ai lutté, cette communauté libre où la pensée se construirait collectivement, où tout serait accessible mais où l'intime demeurerait hors d'atteinte, tout cela est mort. Ce qui a gagné, c'est le bleu pâle de Facebook : un déroulé débectant de dégueulis personnel, de chats faisant du skate, d'opinions imbéciles sur tout et n'importe quoi.
On naît avec un monde et on meurt avec lui, que cela nous plaise ou non.
On pousse Louis dans un fourgon. Le moteur démarre. La ville et son enfance disparaissent par la fenêtre.
Il faudrait pour rester jeune régénérer absolument tout : la peau, les muscles, les organes, les nerfs, les yeux, le cœur, les poumons, le cerveau. Autant mourir, non ?
Tout ce qui se trouve devant nous est né du pétrole. Villes, voitures, avions, industrie, services, armée, luxe et nécessité. Il nous en faut toujours plus. C'est si bon. On sait bien que ça nous flingue mais que voulez-vous – le retour à la bougie, c'est ça ? Le monde moderne est à ce prix. Alors on épuise les sols, on accélère la fin.
Le fondement même de Google est de pouvoir, un jour, se passer d'ordinateurs et de connecter directement le cerveau à Internet.
Le réel n'est pas malléable, il est dur et froid, et si vos mains ne parviennent pas à le saisir, il glisse et s'échappe.
Il découvre enfin quelques choses à la hauteur de la rage qui bat en lui : le monde radical des hackers, dernier repaire de pirates. Le XXIeme siècle s'invente là, dans cet espace sans limites.
Personne n'aime les adieux, la petite aiguille qui taquine le diaphragme, on ne se reverra pas.
La vie ressemble dorénavant à une vaste course-poursuite, ça n'arrête plus, comme dans ces cauchemars fiévreux où l'on ne fait que galoper. Avant, je courais derrière, à présent je cours devant.
On grandit seuil, on s'établit comme une roche, on flotte aux bouillons du large, loin de la pierre d'accroche. On peut tenir la vie comme ça. On peut aussi choisir son rivage et décider d'accoster.
Toujours, dans la vie, même dans les longues périodes d'euphorie où l'on danse plus qu'on ne marche, on trouve de ces petits temps de flottement, d'ennui léger, qui équilibrent la balance et font la joie à venir plus grande.
Finalement, les femmes et les hommes n'ont eu de cesse d'explorer de nouveaux territoires, de plonger dans les forêts et les mers, les montagnes et les plaines, tout ce qui les dépassait, pour réduire l'ensemble en esclavage.
Brusquement tout se tient, obéissant à une logique simple et confondante : la loi du capital était naturellement, comme l'écrivait Marx, à la destruction de la valeur d'origine, à savoir, dans ce cas, la Terre et le vivant.
Internet est autre chose qu'un réseau. Ce sont des ordinateurs reliés entre eux qui sont tous sur le même plan et qui peuvent tous créer de l'information, du contenu, sans qu'aucun ne soit au-dessus des autres. C'est l'apogée de la démocratie, avec les horreurs possibles que cela comporte : un con a autant de poids et d'importance qu'un vieux sage. C'est horrible, indécent, mais c'est ainsi.
Quand la pensée humaine est tortueuse, labyrinthique, détournée, quand les mots expriment toujours le contraire de ce que l'on pense, le sens et l'effet de la formule du code informatique sont parfaitement identiques.
De quoi sont faits nos jours ? De la même eau que vos rêves, d'espoir à peine déçus.
Internet est à présent une poubelle, une succession d'usages parfaitement débiles, un enfermement des sens.