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J'ai la nostalgie de ces premiers temps de la démocratie, quand les individus découvraient qu'ils pouvaient parler, débattre, décider ensemble. La démocratie n'était pas alors une juxtaposition de positions arrêtées.
Pierre Guyotat
Tant de vies individuelles, collectives, dont je suis exclu, moi qui depuis l'enfance ne peut se faire à ce fait qu'on ne peut dans le temps d'une vie humaine embrasser chacune des milliards et millions de vies humaines en cours, en cours de naissance, qui ne peut voir une fenêtre allumée sans éprouver le regret, la rage de n'être pas l'un ou l'une de ceux qui y vivent- et y lampent la soupe.
Le mode interrogatif est le mode premier de la poésie, de l'éloquence. Le mode premier de tout ce que je fais, depuis longtemps.
J'ai 40 ans depuis le mois de Janvier, un âge que, dans l'adolescence, j'ai décidé de ne pas dépasser.
Dans la vie réelle, je suis plutôt résolument du côté du bien, non du mal. Mais à quoi bon faire de l'art, si c'est pour reproduire la réalité ?
Je remonte dans le passé des peuples, au fur et à mesure que je travaille dehors jusqu'à l'extrême limite des premiers froids. Que le ciel et la terre se transforment au-dessus de ma tête et sous mes pieds. Je pense alors que travailler dehors, c'est éviter le retour de la dépression.
J'ai trouvé ainsi, dans la langue française, des choses qui y étaient déjà, intégrées en profondeur, attachées à la mélodie de cette langue. Le caractère mélodique, c'est ce qui manque le plus souvent. Moi, je suis très hanté par la mélodie de la langue française et, en tant que lecteur, je vais vers les auteurs chez qui je la trouve. La mélodie, c'est le gage de l'immortalité pour un auteur.
Nomadiser c'est se rendre disponible à tous, aux proches mais surtout aux inconnus. C'est aussi y oublier de plus en plus son moi, l'ennemi véritable mais hélas encore – et pour combien de temps – le support de la création.
Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre.
L'hallucination est mon état naturel, mais il s'agit d'une hallucination que je contrôle
Les textes autobiographiques intéressants sont ceux qui rendent compte de l'incertitude, du mouvement, de l'infini, de ce qu'est la matière même de la vie : quelque chose de lourd, de brutal par moments, d'interpénétrant. C'est pour cela aussi que le texte est toujours en mode interrogatif. Parce qu'on n'est sûr de rien.
C'est dans les moments d'inattention que souvent le pire m'est advenu.
Ce que je ressens comme une liberté nouvelle c'est la perte de mon poids. La beauté de l'hiver, sa lumière, l'éclat, le scintillement de la neige et de la glace (le spectacle prévu pour décembre à Chaillot) me font comme un corps glorieux.
Les idéologues, ce sont ceux qui ne font pas de phrases interrogatives. Ceux dont le discours se plie à la logique de brièveté, de simplification extrême et d'infantilisation des médias.
Les Confessions de Rousseau, celles de saint Augustin surtout, sont-elles des autobiographies ? On n'y apprend pas énormément de choses sur leur vie. Le texte est ailleurs. L'autobiographie, c'est la biographie de l'individu écrite de l'intérieur. C'est le courant intérieur de la vie, le flux.
La mélodie, c'est le gage de l'immortalité pour un auteur
Quelle douleur aussi de ne pouvoir se partager, être, soi, partagé, comme un festin par tout ce qu'on désire manger, par toutes les sensations, par tous les êtres : cette dépouille déchiquetée de petit animal par terre c'est moi… si ce pouvait être moi !
Ces crises, l'état de grande dépression ne les connaît plus, et si la mémoire en revient au corps épuisé et au restant d'esprit que l'on est, elles apparaissent comme des phases de bonheur inaccessibles désormais.
Ma recherche de l'absolu aboutit à ceci que j'en espère toujours de plus absolu encore. Tous les absolues créés par l'homme, auxquels j'ai souscrit, sont dépouillés par moi de leur valeur d'absolu en regard d'autres qui ne nous sont pas encore connus.
Que des proches me regardent avec les mêmes yeux qu'hier me fait mal (mais qu'importe, il faut avancer) : c'est l'idée même d'infinitude qui y est atteinte.
Un débat entre littérature et vie, oui, peut-être, mais pas entre ce que moi j'écris et la vie ; parce que c'est la vie, ce que je fais.
L'angoisse est pour moi attachée à ce qui est fixe, à l'habitation, aux fondations, aux meubles. La révolution aussi, non violente, que j'espère alors, je la ressens comme incompatible avec la fixation des peuples et des individus sur le sol où ils sont nés.
Comment un médecin même savant pourrait-il comprendre que mon épuisement ne procède que d'une torture d'ordre artistique ?
L'accueil est, il me semble, la grande question morale aujourd'hui. Que chacun vit, à l'échelle individuelle. Et que doit gérer aussi l'État, censé protéger – c'est une loi vieille comme les Capétiens. Quand l'État expulse, il perd sa raison d'être.
Cette langue dépasse mes pauvres forces ; elle va plus vite que ma pauvre volonté. Elle me scandalise, me fait rougir, à d'autres moment rire, non d'une langue de fou, mais d'artiste trop fort pour l'être, humain, que je suis encore