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Je suis juif parce que le sort a voulu que je naisse juif. Je n'en rougis pas et je ne m'en glorifie pas. Etre juif pour moi, c'est une question d'"identité", une "identité" à laquelle, je dois le préciser, je n'ai pas l'intention de renoncer.
Primo Levi
Dans la haine nazie il n'y a rien de rationnel : c'est une haine qui n'est pas en nous, qui est étrangère à l'homme.
La portière s'ouvrit ; l'obscurité retentit d'ordres hurlés, et de ces aboiements naturels aux Allemands quand ils commandent, et qui semblent libérer une hargne séculaire.
Quand on change, c'est toujours en pire, disait un proverbe du camp.
Malheur à celui qui rêve : le réveil est la pire des souffrances.
C'est cela l'enfer. Aujourd'hui, dans le monde actuel, l'enfer, ce doit être cela : une grande salle vide, et nous qui n'en pouvons plus d'être debout.
Si l'Allemagne d'aujourd'hui tient à la place qui lui revient parmi les nations européennes, elle ne peut et ne doit pas blanchir son passé.
Détruire un homme est difficile. Mais vous y êtes arrivés, Allemands. Nous voici dociles, vous n'avez plus rien à craindre de nous.
Aujourd'hui le seul fait qu'un Auschwitz ait pu exister devrait interdire à quiconque, de nos jours, de prononcer le mot de Providence.
Il faut donc nous méfier de ceux qui cherchent à nous convaincre par d'autres voix que celle de la raison.
On comprendra alors le double sens du terme "camp d'extermination" et ce que nous entendons par l'expression "toucher le fond".
Aucune expérience humaine n'est dénuée de sens ou indigne d'analyse.
Puisse l'histoire des camps d'extermination retentir pour tous comme un sinistre signal d'alarme.
Mais Lorenzo était un homme son humanité était pure et intacte, il n'appartenait pas à ce monde de négation. C'est à Lorenzo que je dois de n'avoir pas oublié que moi aussi j'étais un homme...
Ceux qui se sont adaptés à tout ont survécu, mais la majorité n'en a pas été capable et en est morte.
Affirmer que les mêmes causes produisent les mêmes effets : c'est une invention de tous ceux qui ne font pas les choses eux-mêmes, mais les font faire par d'autres.
Le temps était fini où les jours se succédaient vifs, précieux, uniques : l'avenir se dressait devant nous, gris et sans contours, comme une invincible barrière. Pour nous, l'histoire s'était arrêtée.
C'est cela l'enfer : une grande salle vide, et nous qui n'en pouvons plus d'être debout.
Ce qui a eu lieu est une abomination qu'aucune prière, aucun pardon, aucune expiation, rien de ce que l'homme a le pouvoir de faire ne pourra jamais réparer.
La conviction que la vie a un but est profondément ancrée dans chaque fibre de l'homme, elle tient à la nature humaine.
Pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d'un homme.
Dans le travail, et pas seulement dans le travail, s'il n'y avait pas de difficultés, après on aurait moins de plaisir à raconter ; et raconter, vous le savez bien, vous me l'avez même dit, c'est une des joies de la vie.
Entre l'homme qui se fait comprendre et celui qui ne le fait pas il y a un abîme de différence. Le premier sauve sa vie.
Ceux qui sont dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter.
Je n'ai pas plus tôt détaché le glaçon, qu'un grand et gros gaillard qui faisait les cent pas dehors vient à moi et me l'arrache brutalement. "Warum ?", dis-je dans mon allemand hésitant. "Hier ist kein warum".
Alors, pour la première fois, nous nous apercevons que notre langue manque de mots pour exprimer cette insulte : la démolition d'un homme. En un instant, dans une intuition quasi prophétique, la réalité nous apparaît : nous avons touché le fond.
Comprendre, c'est presque justifier.
On ne devrait pas imposer de limites ou de règles à la création littéraire.
La faculté qu'a l'homme de se creuser un trou, de sécréter une coquille, de dresser autour de soi une fragile barrière de défense, même dans des circonstances apparemment désespérées, est un phénomène stupéfiant qui demanderait à être étudié de près.
Ils nous enlèveront jusqu'à notre nom : si nous voulons le conserver, nous devrons trouver la force pour que derrière ce nom, quelque chose de nous subsiste.
La foi, on l'a ou on ne l'a pas. On ne peut se l'inventer. On ne peut s'inventer un Dieu pour sa consommation personnelle. Ce serait malhonnête.
Savez-vous comment on dit "jamais" dans le langage du camp ? "Morgen früh", demain matin.
Mais pour nous, les heures, les jours et les mois n'étaient qu'un flux opaque qui transformait, toujours trop lentement, le futur en passé.
On a parfois l'impression qu'il émane de l'histoire et de la vie une loi féroce que l'on pourrait énoncer ainsi : Il sera donné à celui qui possède, il sera pris à celui qui n'a rien.
Il n'est pas rare, quand on a tout perdu, de se perdre soi-même.
Les jours se ressemblent tous et il n'est pas facile de les compter.
Il ne me reste plus aujourd'hui que la force d'endurer la faim et le froid ; je ne suis plus assez vivant pour être capable de me supprimer.
La loi du Lager disait : Mange ton pain, et si tu peux celui de ton voisin.
Personne ne sortira d'ici, qui pourrait porter au monde, avec le signe imprimé dans la chair, la sinistre nouvelle de ce que l'homme, à Auschwitz, a pu faire d'un autre homme.
Composer une poésie digne d'être lue et retenue est un don du destin : cela arrive à quelques rares personnes, en dehors de toute règle et de toute volonté, et à ces quelques personnes même, cela n'arrive que rarement dans la vie.
Rares sont les hommes capables d'aller dignement à la mort, et ce ne sont pas toujours ceux auxquels on s'attendrait.
Si on blesse le corps d'un agonisant, la blessure commencera malgré tout à se cicatriser, même si le corps tout entier doit mourir le lendemain.
L'Enfer, c'est là où il n'y a pas de pourquoi.
Passer pour puissant, c'est être en voie de le devenir.
J'ai donc touché le fond. On apprend vite en cas de besoin à effacer d'un coup d'éponge passé et futur.