Images
Le vestiaire me fascine. Il fonctionne comme un sas et, tous les soirs, une métamorphose collective spectaculaire s'y produit. En un quart d'heure, dans une agitation fébrile, chacun entreprend de faire disparaître de son corps et de son allure les marques de la journée de travail. Rituel de nettoyage et de remise en état. On veut sortir propre. Mieux, élégant.
Robert Linhart
Essayez donc d'oublier la lutte des classes quand vous êtes à l'usine : le patron, lui, ne l'oublie pas.
Comment ne pas être pris d'une envie de saccage ? Lequel d'entre nous ne rêve pas, par moments, de se venger de ces sales bagnoles insolentes, si paisibles, si lisses – si lisses !
Vu du dehors, ça paraît évident : on s'embauche et on organise. Mais ici, cette insertion "dans la classe ouvrière" se dissout en une multitude de petites situations individuelles, où je ne parviens pas à trouver une prise ferme.
L'usine est conçue pour produire des objets et broyer des hommes.
Le travail, lui même, est construit comme un système de répression.
Jamais autant qu'à l'usine je n'avais perçu avec autant d'acuité le sens du mot "économie". Économie de geste. Économie de paroles.
Quand j'avais compté mes 150 "2CV", et que ma journée d'homme-chaîne terminée je rentrais m'affaler chez moi comme une masse, je n'avais plus la force de penser grand-chose, mais au moins je donnais un contenu précis au concept de plus-value.
Quand on met un ouvrier à une place, on ne manque jamais cette occasion de le remettre à sa place.
L'agriculture ne sert plus à nourrir les populations, mais à produire des devises.
Les bourgeois s'imaginent toujours avoir le monopole des itinéraires personnels. Quelle farce ! Ils ont le monopole de la parole publique, c'est tout. Ils s'étalent. Les autres vivent leur histoire avec intensité mais en silence. Personne ne naît O.S (Ouvrier spécialisé) ; on le devient.
La résistance. Je la devine enfouie dans les collectivités nationales immigrées. Murmurée en Kabyle, en arabe, en serbo-croate, en portugais. Dissimulée sous une feinte résignation. Elle perce, vivace et inattendue, dans la clameur que soulève le vol d'une minute de pause.
Pour Citroën, tous les ouvriers sont des voleurs potentiels, des délinquants qu'on n'a pas encore pris sur le fait. Nous sommes l'objet d'une surveillance rigoureuse de la part des gardiens, qui procèdent à des fouilles fréquentes à la sortie de l'usine.