Images
On pense aujourd'hui à la révolution, non comme à une solution des problèmes posés par l'actualité, mais comme à un miracle dispensant de résoudre les problèmes.
Simone Weil
Le temps est une image de l'éternité, mais c'est aussi un ersatz de l'éternité.
Il n'y a ici-bas, à proprement parler, qu'une seule beauté, c'est la beauté du monde. Les autres beautés sont des reflets de celle-là, soit fidèles et purs, soit déformés et souillés, soit même diaboliquement pervertis.
L'attachement est fabricateur d'illusions, et quiconque veut le réel doit être détaché.
Toute douleur qui ne détache pas est de la douleur perdue.
L'amour a besoin de réalité. Aimer à travers une apparence corporelle un être imaginaire, quoi de plus atroce, le jour où l'on s'en aperçoit ? Bien plus atroce que la mort, car la mort n'empêche pas l'aimé d'avoir été.
Argent, machinisme, algèbre : les trois monstres de la civilisation actuelle.
La nécessité est l'écran mis entre Dieu et nous pour que nous puissions être. C'est à nous de percer l'écran pour cesser d'être.
Soixante ans plus tard, je suis toujours hantée par les images, les odeurs, les cris, l'humiliation, les coups et le ciel plombé par la fumée des crématoires.
La joie est notre évasion hors du temps.
Il faut aussi que le crime d'improbité envers l'Etat chez les hommes publics soit effectivement puni plus sévèrement que le vol à main armée.
La contemplation du temps est la clef de la vie humaine.
La politique m'apparaît comme une sinistre rigolade.
La bonne volonté éclairée des hommes agissant en tant qu'individus est l'unique principe possible du progrès social.
L'esclavage m'a fait perdre tout à fait le sentiment d'avoir des droits.
Etages de croyance. La vérité la plus vulgaire, quand elle envahit toute l'âme, est comme une révélation.
L'amitié ne se recherche pas, ne se rêve pas, ne se désire pas ; elle s'exerce (c'est une vertu).
S'abaisser, c'est monter à l'égard de la pesanteur morale. La pesanteur morale nous fait tomber vers le haut.
Aimer un être, c'est tout simplement reconnaître qu'il existe autant que vous.
Toutes les tragédies que l'on peut imaginer reviennent à une seule et unique tragédie : l'écoulement du temps.
L'amour courtois avait pour objet un être humain ; mais il n'est pas une convoitise. Il n'est qu'une attente dirigée vers l'être aimé et qui en appelle le consentement.
Renoncer à tout ce qui n'est pas la grâce et ne pas désirer la grâce.
On dit souvent que la force est impuissante à dompter la pensée ; mais pour que ce soit vrai, il faut qu'il y ait pensée. Là où les opinions irraisonnées tiennent lieu d'idées, la force peut tout.
La vérité, c'est que l'esclavage avilit l'homme jusqu'à s'en faire aimer ; que la liberté n'est précieuse qu'aux yeux de ceux qui la possèdent effectivement.
Toutes choses en ce monde sont exposées au contact de la force, sans aucune exception, sinon celle de l'amour.
Le triomphe de l'art est de conduire à autre chose que soi.
L'attention créatrice consiste à faire réellement attention à ce qui n'existe pas.
C'est un grand danger que celui d'aimer Dieu comme un joueur aime le jeu.
La pesanteur et la grâce.
L'enfer est du néant qui a de la prétention et donne l'illusion d'être.
La beauté est un mystère, elle est ce qu'il y a de plus mystérieux ici-bas. Mais elle est un fait. Tous les êtres en reconnaissent le pouvoir, y compris les plus frustes ou les plus vils, quoique fort peu en possèdent le discernement et l'usage.
Mort. Etat instantané, sans passé ni avenir. Indispensable pour l'accès à l'éternité.
Dire que le monde ne vaut rien, que cette vie ne vaut rien, et donner pour preuve le mal, est absurde, car si cela ne vaut rien, de quoi le mal prive-t-il ?
L'unique source de salut et de grandeur pour la France, c'est de reprendre contact avec son génie au fond de son malheur.
J'ai eu soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclages, que les esclaves ne peuvent pas ne pas y adhérer, et moi parmi les autres.
L'obéissance à un homme dont l'autorité n'est pas illuminée de légitimité, c'est un cauchemar.
La force sociale ne va pas sans mensonge. Aussi tout ce qu'il y a de plus haut dans la vie humaine, tout effort de pensée, tout effort d'amour est corrosif pour l'ordre.
Méthode d'investigation : dès qu'on a pensé quelque chose, chercher en quel sens le contraire est vrai.
On peut, si on veut, ramener tout l'art de vivre à un bon usage du langage.
Accepter le mal qu'on nous fait comme remède à celui que nous avons fait.
Ceux qui désirent leur salut ne croieant pas vraiment à la réalité de la joie en dieu.
Le vrai critérium, pour la propriété, est qu'elle est légitime pour autant qu'elle est réelle.
Sans doute l'essence même du sentiment de la beauté est-elle le sentiment que cette nécessité dont une des faces est contrainte brutale a pour autre face l'obéissance à Dieu. Par l'effet d'une miséricorde providentielle, cette vérité est rendue sensible à la partie charnelle de notre âme et même en quelque sorte à notre corps.
Désirer l'amitié est une grande faute. L'amitié doit être une joie gratuite comme celles que donne l'art, ou la vie. Il faut la refuser pour être digne de la recevoir : elle est de l'ordre de la grâce...
Essayer de remédier aux fautes par l'attention et non par la volonté.
La foi, c'est l'expérience que l'intelligence est éclairée par l'amour. Seulement l'intelligence doit reconnaître par les moyens qui lui sont propres, c'est à dire la constatation et la démonstration, la prééminence de l'amour.
Je ne dois pas aimer ma souffrance parce qu'elle est utile, mais parce qu'elle est.
De même il faut aimer beaucoup la vie pour aimer encore davantage la mort.
Une obligation, ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être.
Nous avons tous les jours sous les yeux l'exemple de l'univers, où une infinité d'actions mécaniques indépendantes concourent pour constituer un ordre qui, à travers les variations, reste fixe. Aussi aimons-nous la beauté du monde, parce que nous sentons derrière elle la présence de quelque chose d'analogue à la sagesse que nous voulons posséder pour assouvir notre désir du bien.