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Qui sait mourir n'a plus de maître.
Sully Prudhomme
Demain, j'irai demain voir ce pauvre chez lui, - Demain, je reprendrai le livre à peine ouvert, - Demain, je te dirai, mon âme, où je te mène, - Demain, je serai juste et fort... - Pas aujourd'hui.
On a dans l'âme une tendresse. Où tremblent toutes les douleurs, Et c'est parfois une caresse. Qui trouble, et fait germer les pleurs.
Contre les voluptés des plus heureux du monde Je n'échangerais pas les maux que j'ai soufferts : C'est le plus grand soupir qui fait le plus beau vers.
Un matin c'est une épousée : - Elle marche à l'autel, l'oeil baissé mais vainqueur ; - Aux lèvres va fleurir la joie ensemencée - Au coeur.
La musique double la vie.
Tout l'horizon n'est qu'un blême rideau ; - La vitre tinte et ruisselle de gouttes ; - Sur le pavé sonore et bleu des routes - Il saute et luit des étincelles d'eau.
L'habitude est une étrangère Qui supplante en nous la raison : C'est une ancienne ménagère Qui s'installe dans la maison.
Pourquoi faire des adieux ? - Le même sang change d'artères, - Les filles ont les yeux de leurs mères, - Et les fils le front des aïeux.
Le meilleur moment des amours N'est pas quand on a dit : je t'aime ; Il est dans le silence même A demi rompu tous les jours.
Le vase où meurt cette verveine, - D'un coup d'éventail fut fêlé. - Le coup dut l'effleurer à peine : - Aucun bruit ne l'a révélé. - ... - Personne ne s'en doute ; - N'y touchez pas, il est brisé.
Il est tard ; l'astronome aux veilles obstinées, - Sur sa tour, dans le ciel où meurt le dernier bruit - Cherche des îles d'or, et le front dans la nuit, - Regarde à l'infini blanchir des matinées.
Tantôt, rebelle injuste et jaloux, je la blesse - Et je sens dans mon coeur sourdre la cruauté. - Elle ne comprends pas, et je lui semble infâme. - Oh ! que je serais doux si tu n'étais qu'une âme ! - Ce qui me rend méchant, vois-tu, c'est ta beauté.
Je n'aime pas les maisons neuves : leur visage est indifférent.
Je passerai l'été dans l'herbe, sur le dos, - La nuque dans les mains, les paupières mi-closes, - Sans mêler un soupir à l'haleine des roses - Ni troubler le sommeil léger des clairs échos.
Il me semble qu'il n'y a, dans le domaine entier de la pensée, rien de si haut ni de si profond, à quoi le poète n'ait mission d'intéresser le coeur.
Il est tombé pour nous le rideau merveilleux - Où du vrai monde erraient les fausses apparences, - La science a vaincu l'imposture des yeux, - L'homme a répudié les vaines espérances.
J'en arrive à me définir Dieu simplement : ce qui me manque pour comprendre ce que je ne comprends pas.
Un parfum pénétrant comme un aveu d'amour.
Toute jeunesse vient des morts : - C'est dans une funèbre pâte - Que, toujours, sans lenteur ni hâte, - Une main pétrit les beaux corps - Tandis qu'une autre main les gâte.
Heureux les corps ! - Ils ont la paix quand ils se couchent, - Et le néant quand ils sont morts.
Mais viendra le jour des adieux, - Car il faut que les femmes pleurent - Et que les hommes curieux - Tentent les horizons qui leurrent !
Père avare d'amour n'est père qu'à moitié.
L'amitié n'a de sens que si elle prête à se prouver par un sacrifice.
Telles, je sens au coeur, quand les bruits du monde - Me laissent triste et seul après m'avoir lassé, - La présence éternelle et la douceur profonde - De mon premier amour que j'avais cru passé.
Une larme, un chant triste, un seul mot dans un livre, - Nuage au ciel limpide où je me plais à vivre, - Me fait sentir au coeur la dent des vieux chagrins.
Bleus ou noirs, tous aimés, tous beaux, - Des yeux sans nombre ont vu l'aurore ; - De l'autre côté des tombeaux - Les yeux qu'on ferme voient encore.
Ah ! ce mot-là fut le vainqueur, - La nuance est si peu de chose - Pour les yeux et tant pour le coeur ! - Mais ce fut bien mieux dit en prose.
L'Indulgence est tendre, elle est femme. Ceux qu'un faux pas, même expié, Dans le monde à jamais diffame, Lavent leur front dans sa pitié.
Le laboureur m'a dit en songe : Fais ton pain, - Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème. - ... - Je connus mon bonheur et qu'au monde où nous sommes - Nul ne peut se vanter de se passer des hommes ; - Et depuis ce jour-là, je les ai tous aimés.
Que de fois la mère partage Et ne garde pas sa moitié !
Mais patience ! La rancune - Est l'âme du vieil Océan ; - Depuis bien des retours de lune - Le déluge prend son élan.
O Nuit, selon sa vie, à tout homme qui veille - Inspire ton horreur ou ta sérénité, - Et donne pour jamais à celui qui sommeille - Le rêve qu'il a mérité !
Et le ressouvenir des amours et des haines - Me bercera, pareil au bruit des mers lointaines.
L'azur de tes grands yeux m'est cher ; - C'est un lointain que je regarde - Sans cesse et sans y prendre garde, - Un ciel de mer.
Ils tombent épuisés, la bataille était rude. - Près d'un fleuve, au hasard sur le dos, sur le flanc, - Ils gisent, engourdis par tant de lassitude - Qu'ils sont bien, dans la boue et dans leur propre sang.
Il est bon d'apprendre à mourir Par volonté, non d'un coup traître : Souffre-t-on ? c'est qu'on veut souffrir ; Qui sait mourir n'a plus de maître.
Oh ! qu'ils aient perdu leur regard. - Non, non, cela n'est pas possible ! - Ils se sont tournés quelque part - Vers ce qu'on nomme l'invisible.
Nul ne peut se vanter de se passer des hommes.
Vous dites que la gloire est l'estime de l'homme, - Et que la paix de l'âme est l'estime de Dieu.
Le souvenir du fer gît dans ses flancs meurtris.
D'un sourire j'ai fait la chaîne de mes yeux, - Et j'ai fait d'un baiser la chaîne de ma bouche.
Cet abbé chemine en priant, - Et seul au milieu de la rue, - Tout noir, il fait sa tache crue - Sur le ciel tendre et souriant.
Le rêveur sent brûler des âmes - Dans les bleus éclairs des tisons.
La justice est l'amour guidé par la lumière.
Le plaisir est borné, la douleur infinie, Et Dieu seul la dispense à de justes degrés.
C'est en deuil surtout que je l'aime. - Le noir sied à son front poli. - Et par ce front le chagrin même - Est embelli.
La fausse modestie consiste à se mettre sur le même rang que les autres pour mieux montrer qu'on les dépasse.
Les vivants sont muets, car sous ton aile immense, - Ils boivent le sommeil avec l'ombre du soir, - Lait sombre et merveilleux qu'aspirent en silence - Toutes lèvres à ton sein noir.
Tous, même les morts, ont fui jusqu'au dernier !