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Quand on dort tout seul, même une couverture, ça vous réchauffe pas. Même le paradis, ça vous flanque le bourdon quand on est tout seul.
Svetlana Aleksievitch
Le communisme c'est comme la prohibition : l'idée est bonne, mais ça ne marche pas.
Les femmes russes n'ont jamais vécu avec des hommes normaux. Elles leur servent de médecins, elle les soignent. Elles considèrent l'homme un peu comme un héros, et un peu comme un enfant. Elles sont là pour le sauver. Aujourd'hui encore, elles continuent à jouer ce rôle.
Un communiste, c'est quelqu'un qui a lu Marx, et un anti-communiste, c'est quelqu'un qui l'a compris.
Par sa mentalité, dans son inconscient, notre pays est un pays de tsars. C'est dans nos gènes. On veut tous un Tsar (...)
A présent, le monde n'est plus divisé en ceux qui ont fait de la prison et ceux qui les y ont envoyés, ou en ceux qui ont lus Soljénitsyne et ceux qui ne l'ont pas lu, mais en ceux qui peuvent acheter, et ceux qui ne le peuvent pas.
Qu'est ce qui reste de l'être humain ? Qu'est ce que nous pouvons laisser de durable ? Le mot, uniquement le mot.
Nous avons passé toute notre histoire à survivre, et non à vivre.
La Russie changeait et se détestait d'être en train de changer.
Le passé, pour les uns, c'est une malle remplie de chair humaine et un tonneau plein de sang, et pour les autres, une grande époque…
En réalité, aucun de nous ne vivait en URSS, chacun vivait dans son petit monde.
Tout ce qu'on a traversé, ça peut pas se mesurer avec un mètre ni se peser sur une balance.
L'avenir… il devait être magnifique… il allait être magnifique, plus tard … j'y croyais ! On y croyait à une vie magnifique ! C'était une utopie … Vous, vous avez votre utopie à vous. Le marché. Le paradis du marché. Le marché va rendre tout le monde heureux… C'est une chimère !
L'histoire ne s'intéresse qu'aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n'est pas l'usage de les laisser entrer dans l'histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne. Je suis étonnée par l'être humain...
Dans chaque nouveau livre, je cherche tout depuis le début, non seulement dans le monde, mais à l'intérieur de moi-même.
Un Russe, ça tient sur trois béquilles : "on sait jamais", "on verra bien", et "on s'en sortira toujours".
Les gens ont commencé à croire en Dieu, puisqu'il y a pas d'autre espoir.
Pour neutraliser les radiations, on vous avait donné une pleine valise de vodka.
Toute sa vie, l'homme est ballotté entre le bien et le mal.
Aujourd'hui, il est devenu indécent de demander à quelqu'un ce qu'il est en train de lire. Il y a trop de choses qui ont changé dans notre vie, et les livres n'en parlent pas. Les romans russes ne vous apprennent pas comment réussir dans la vie. Comment devenir riche.
D'un côté, le pouvoir broyait les êtres humains, mais d'un autre côté, les gens ne se faisaient pas de cadeaux entre eux. Ils ne demandaient que ça.
Vous savez, j'ai réfléchi à une chose : le socialisme ne résout pas le problème de la mort. De la vieillesse. Du sens métaphysique de la vie. Il n'en tient pas compte. Il n'y a que la religion qui donne des réponses... Ah, si j'avais dit une chose pareille en 1937... !
Nous avons connu les camps, nous avons couvert la terre de nos cadavres pendant la guerre, nous avons ramassé du combustible atomique à mains nues à Tchernobyl. Et maintenant nous nous retrouvons sur les décombres du socialisme. Comme après la guerre...
Personne ne pourra jamais me convaincre que la vie nous est donnée uniquement pour manger de bons petits plats et pour dormir.
La vie en Russie, c'est de la littérature.
Y a pas de mer sans eau, et y a pas de guerre sans cadavres. La vie, c'est Dieu qui la donne, mais à la guerre, n'importe qui peut la prendre…
Vous ne devez pas oublier que ce n'est plus votre mari, l'homme aimé, qui se trouve devant vous, mais un objet radioactif avec un fort coefficient de contamination.
Comme disait Ranevskaïa, la vieillesse, c'est quand les bougies sur le gâteau d'anniversaire coûtent plus cher que le gâteau lui-même.
Après Staline, chez nous, on ne voit plus la mort de la même façon... On se souvient des frères qui tuaient leurs frères... Des exécutions massives de gens qui ne savaient pas pourquoi on les assassinait... C'est resté en nous, ça, c'est toujours présent dans notre vie. Nous avons grandi parmi des bourreaux et des victimes...
Chez nous les gens sont bons mais le peuple est mauvais.
Dans les écoles soviétiques, on nous enseignait que l'homme est foncièrement bon. Qu'il est magnifique. Aujourd'hui encore ma mère croit que ce sont les circonstances horribles qui nous rendent horribles. Mais que l'homme est bon. Mais ce n'est pas vrai... Non ce n'est pas vrai ! Toute sa vie, l'homme est ballotté entre le bien et le mal.
La démocratie ! En Russie, c'est un mot qui fait rire. Vous connaissez l'histoire drôle la plus courte qui soit : Poutine est un démocrate...
D'abord, j'entends. La réflexion vient après.
D'après la théorie de Darwin, ceux qui survivent, ce ne sont pas les plus forts, mais ceux qui s'adaptent le mieux à leur environnement. Ce sont les médiocres qui s'en sortent et qui perpétuent la race.
Des gangsters se baladent dans les rues en veston rouge avec des chaines en or sur le ventre. C'est la caricature du capitalisme, comme sur les dessins du Crocodile, le journal humoristique soviétique. Une parodie ! Au lieu d'une dictature du prolétariat, vous avez la loi de la jungle : dévore les plus faibles que toi, et rampe devant ceux qui sont forts. La plus vieille loi du monde.
Ce sont toujours les victimes qui restent pour témoigner. Les bourreaux, se taisent, ils s'évaporent dans la nature, ils sombrent dans un gouffre invisible. Ils n'ont pas de nom, pas de voix. Ils disparaissent sans laisser de trace. Nous ne savons rien d'eux.
Avez-vous entendu parler des hibakushi de Hiroshima ? Les survivants de l'explosion. IIs ne peuvent se marier qu'entre eux. On n'en parle pas, chez nous. On n'écrit rien à ce sujet. Mais nous existons, nous autres, les hibakushi de Tchernobyl.
C'est toujours cela qui m'attire, ce petit espace - l'être humain... Un être humain. En réalité, c'est là que tout se passe.
Seul un soviétique peut comprendre un soviétique. Nous avions tous une seule et même mémoire communiste. Nous sommes des voisins de mémoire.
Le Parti ne faisait plus peur à personne. Les poivrots, devant les kiosques à bière, pouvaient l'injurier à qui mieux mieux, mais le KGB, ils n'y touchaient pas... Ça, pas question ! C'était gravé dans les mémoires. On savait que ces gars-là allaient remettre de l'ordre... D'une main de fer, du fer rouge dans un gant hérissé de barbelés...
Ma mère disait que le malheur est le meilleur des professeurs.
Quand l'homme raconte, il crée, il lutte avec le temps comme le sculpteur avec le marbre. Il est un acteur et un créateur.
Un homme sans patrie est un rossignol sans jardin.
Mais il y a de nouveau des dizaines de milliers de gens qui descendent dans la rue. Qui se tiennent par la main. Ils ont des rubans blancs sur leurs vestes. Un symbole de renaissance. De lumière. Et je suis avec eux.
La plupart des gens n'étaient pas antisoviétiques, tout ce qu'ils voulaient, c'était avoir une vie meilleure.
Le peuple ? Le peuple, ce qu'il attend, ce sont des choses simples. Des montagnes de pain d'épice. Et un tsar !
Nous avions un grand empire qui allait d'un océan à l'autre, du cercle polaire jusqu'aux tropiques. Où est-il passé ? Il a été vaincu sans bombe. Sans Hiroshima. Il a été vaincu par Sa Majesté le Saucisson ! C'est la bonne bouffe qui a gagné. Et les Mercedes... L'homme n'a pas besoin d'autre chose, il ne faut rien lui proposer de plus, ce n'est pas la peine.
Comme chacun sait, ce n'est pas en travaillant honnêtement qu'on gagne beaucoup d'argent.