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La plupart de nos professeurs sont des créatures minables, qui semblent s'être donné pour tâche de barricader la vie de leurs élèves et de la transformer, finalement et définitivement, en une épouvantable déprime.
Thomas Bernhard
Il est possible que l'on soit sauvé par le simple fait de comprendre clairement un moment décisif et de faire une analyse de tout ce qu'implique ce moment.
La solitude de l'homme est le chemin de la dégoûtation. L'âge est une grande dégoûtation. La jeunesse est un écoeurement mais la vieillesse est dégoûtante.
Les mots les plus lourds ne sont pas toujours ceux qui ont le plus de poids, tout comme les phrases les plus lourdes ne sont pas toujours celles qui ont le plus de poids.
La morale est un mensonge.
Nous nous reconnaissons en tout être humain, peu importe qui il est et nous sommes condamnés à être chacun de ces êtres humains, tant que nous existons.
Des machines à calculer, les hommes ne sont rien d'autre. Le monde ne sera bientôt plus qu'un unique ordinateur. Il ne nous sert à rien de ne pas y prendre part, nous sommes enfermés dans tout et nous ne pouvons plus en sortir.
La vérité, c'est bien que je me fais l'effet d'un mort, d'un mort qui a encore à vivre.
Où il y a un médecin, beaucoup de gens doivent mourir.
Lorsque vous avez perdu l'être qui vous était le plus proche, tout vous paraît vide, vous pouvez regardez où vous voulez, tout est vide, et vous regardez et regardez et vous voyez que tout est vraiment vide, et cela pour toujours.
Nous avons besoin d'auditeurs et d'un porte-parole. Toute notre vie, nous souhaitons le porte-parole idéal et nous ne le trouvons pas, car le porte-parole idéal n'existe pas.
Chaque homme a des mots qu'on doit éviter de lui dire tout haut.
Quand nous écoutons les guides, nous entendons tout de même toujours le bavardage sur l'art qui nous tape sur les nerfs, l'insupportable bavardage sur l'art des historiens d'art...
Tout ce qui est communiqué ne peut être autre chose qu'altération et falsification, on n'a donc jamais communiqué que des choses altérées et falsifiées. La volonté d'être véridique est, comme tout autre chemin, le plus rapide pour fausser et falsifier une situation.
Car celui qui cesse d'élargir ses connaissances et de fortifier son caractère, c'est-à-dire de travailler sur soi afin de tirer de soi le meilleur parti possible, a cessé de vivre.
Les soi-disant classes inférieures sont, c'est tout de même vrai, tout aussi ignobles et abjectes et tout aussi hypocrites que les supérieures.
Nous regrettons tout ce que nous n'avons pas demandé quand celui qu'il faut interroger n'a plus d'oreille pour ces questions, quand il est déjà mort.
Des machines à calculer, les hommes ne sont rien d'autre. Nous recalculons, nous ne faisons qu'établir des comparaisons numériques. Nous naissons dans un système numérique et, un jour, nous en sommes rejetés, propulsés dans l'univers, dans le néant.
La majeure partie du genre humain, surtout en Europe centrale, feint de travailler, joue continuellement la comédie du travail qui a aussi peu à voir avec le travail véritable que la véritable et réelle comédie avec la vraie vie réelle.
Amitié, quel mot lépreux ! Chaque jour, et jusqu'à l'écoeurement, les gens l'ont à la bouche, et il est complètement déprécié, au moins aussi déprécié que le mot amour, mortellement piétiné.
Dès mon enfance je l'ai évitée, la masse, j'ai détesté la foule, le rassemblement de gens, cette concentration de grossièreté et d'étourderie et de mensonge. Autant nous devrions aimer chacun en particulier, me dis-je, autant nous détestons la masse.
La vie, c'est le désespoir pur, très limpide, très sombre, cristallin... Il n'y a qu'un chemin qui y mène à travers la neige et la glace du désespoir, il faut s'y engager par-delà l'adultère de la raison.
Ainsi, chacun, peu importe ce qu'il est, peu importe absolument ce qu'il fait, est sans cesse renvoyé à lui-même, il est un cauchemar seulement alimenté par lui-même.
Chaque homme patauge sans cesse dans la profondeur d'une pensée, les uns au fond, les autres plus bas encore. Jusqu'à ce que les ténèbres leur fassent comprendre que tout est inutile.
L'oeuvre d'art la plus grande et la plus remarquable finit tout de même par nous peser dans la tête comme un morceau de mensonge et de vulgarité, comme un morceau beaucoup trop gros de viande dans l'estomac.
Pour moi, il est certain que la fantaisie est une maladie. Une maladie qu'on n'attrape pas, parce qu'on l'a de naissance. Une maladie qui est responsable de tout, surtout du ridicule et de la méchanceté.
Nous décrivons et nous jugeons les gens, et c'est toujours entièrement faux, nous nous montrons injustes dans nos jugements et nous les décrivons comme des gens vils, me dis-je, et cela dans tous les cas, quelle que soit la manière dont nous les décrivons, quelle que soit la manière dont nous les jugeons.
Les plus grands crimes, dit le prince, sont ceux qui sont commis par les supérieurs contre les inférieurs en paroles, les crimes commis en pensée et en paroles, etc., voilà ce que je pense.
Il était tout sauf un discoureur ou même un phraseur, dans un monde qui semble n'être fait que de discoureurs et de phraseurs.
Tout ce que nous étudions de près finalement nous déçoit.
J'ai l'impression d'exister comme sourcier à l'intérieur de ma propre tête.
Nous thésaurisons les grands esprits et les maîtres anciens et nous croyons qu'ensuite, au moment décisif pour la survie, nous pouvons les utiliser à nos fins, ce qui ne signifie d'ailleurs rien d'autre qu'en abuser à nos fins, ce qui se révèle une funeste erreur.
La faim culturelle de l'humanité civilisée est énorme, la perversité qui se cache là-dedans, universelle.
L'homme, c'est l'enfer idéal pour les hommes.
L'art de la conversation est un art de la diffamation, l'art de la conversation avec soi-même est l'art de la diffamation le plus atroce qui soit.
Plus les gens deviennent cultivés, plus leur bavardage devient insupportable.
Au bout du compte, toute chose finit dans le ridicule, ou du moins dans le pitoyable, si grande et importante qu'elle puisse être.
Nous passons toute notre vie à nous comprendre nous-mêmes et nous n'y arrivons pas, comment pouvons-nous croire que nous pourrions comprendre quelque chose qui n'est même pas nous.
Seul un fou prône la solitude et, pour finir, être complètement seul ne signifie rien d'autre qu'être complètement fou.
Nous haïssons les gens et nous voulons tout de même vivre avec eux, parce que c'est seulement avec les gens et parmi eux que nous avons une chance de continuer à vivre et de ne pas devenir fous.
Nous connaissons en fait presque uniquement des gens défigurés par la nature et donc par leur malheur qui se sont résignés, et de très rares seulement dont nous pouvons dire que leur malheur les a conduits au triomphe, au triomphe de l'esprit...
A chaque livre, nous découvrons avec horreur un homme imprimé à mort par les imprimeurs, édité à mort par les éditeurs, lu à mort par les lecteurs.
Comme quatre-vingt-dix pour cent de l'humanité, je voudrais au fond toujours être là où je ne suis pas, là d'où je viens de m'enfuir.
L'étranger, débarquant dans une région qui lui est totalement inconnue et au milieu d'êtres totalement nouveaux pour lui, les perçoit toujours comme beaucoup plus froids et plus horribles qu'ils ne sont en réalité.
Parmi les nouveaux riches, comme on disait, vers mil neuf cent, la grande mode était de se faire peindre sous couvert de mécénat. Au fond, les Wittgenstein, comme leurs semblables, se fichaient éperdument de l'art, mais ils voulaient jouer les mécènes.
Il méprisait la société actuelle, qui en tout et à tout propos renie sa propre histoire, et qui, ce faisant, n'a ni passé ni avenir, comme il s'est une fois exprimé, et qui est devenue la proie de l'abrutissement par la science atomique.
La plus grande erreur est de penser que les prétendus gens simples sont en mesure de sauver quelqu'un. Au comble de la détresse, on va les voir et on les prie formellement de vous sauver et ils vous enfoncent encore davantage dans le désespoir.
La soi-disant générosité humaine est une pure et simple imposture et celui qui proclame, voire soutient le contraire, est un raffiné piétineur d'hommes ou un impardonnable imbécile. Aujourd'hui nous avons affaire pour quatre-vingt-dix pour cent à ces raffinés piétineurs d'hommes et dix pour cent à ces impardonnables imbéciles.
L'incompétence règne dans toutes les relations et, avec le temps, elle produit très naturellement l'indifférence.
Maintes fois, tous nous relevons la tête en croyant qu'il nous faut dire la vérité ou la vérité apparente et nous la rentrons de nouveau dans les épaules. C'est tout.