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Avec les médecins, j'ai eu des relations amicales tant que j'ai eu de l'argent, mais dès qu'on n'en a plus, ils vous traitent comme du bétail, disait-il souvent.
Thomas Bernhard
Les époques sont insanes, le démoniaque en nous est un éternel cachot patriotique, au fond duquel la bêtise et la brutalité nous sont devenues les éléments de notre détresse quotidienne.
L'amour est une absurdité qui n'est nullement inscrite dans la nature.
Penser signifie échouer, ai-je pensé. Agir signifie échouer. Mais naturellement nous n'agissons pas pour échouer, de même que nous ne pensons pas pour échouer, ai-je pensé.
Se faire comprendre est impossible.
Toutes les écoles supérieures sont mauvaises et celle que nous fréquentons est toujours la plus mauvaise si elle ne nous ouvre pas les yeux.
Notre père, qui êtes en enfer, qu'aucun nom ne soit sanctifié, qu'aucun règne ne nous arrive, qu'aucune volonté ne soit faite pas plus en enfer que sur terre. Refusez-nous notre pain quotidien et ne nous pardonnez pas nos offenses comme nous ne pardonnons pas à ceux qui nous ont offensés. Amen.
Que veut dire exister sinon ceci : nous désespérons.
Les grands-pères placent la tête de leur petit-fils là où il y a au moins quelque chose d'intéressant à voir, bien que ce ne soit pas toujours quelque chose d'élémentaire, et, par cette attention continuelle à l'essentiel qui leur est propre, ils nous affranchissent de la médiocrité désespérante dans laquelle, sans les grands-pères, indubitablement nous mourrions bientôt d'asphyxie.
La mort ne doit en aucune façon redresser l'image que nous avons d'un homme.
Celui qui pense dissout, dépasse, consterne, démolit, désagrège, car penser consiste très exactement en la dissolution systématique de tous les concepts.
Au fond, pourquoi les peintres peignent-ils, alors qu'il y a tout de même la nature ?
Mais l'ordre est là où est le désordre.
La véritable intelligence ne connaît pas l'admiration, elle prend connaissance, elle respecte, elle estime, c'est tout.
Eclaircir l'existence, non seulement la percer à jour mais quotidiennement l'éclairer jusqu'au suprême degré possible, c'est la seule possibilité d'en venir à bout.
Vieillir c'est se rappeler son enfance.
La boue que l'on reproche aux journaux, c'est en réalité la boue de l'humanité et non celle des journaux ! Les journaux font bien de montrer, dans leur miroir, l'homme tel qu'il est, c'est-à-dire répugnant.
La seule poésie, dis-je, est la nature, la seule nature est la poésie.
La sentimentalité en général, c'est cela qui est épouvantable, est aujourd'hui la grande mode.
Là où il y a trois êtres humains, il y en a déjà un qui est toujours objet de sarcasmes et de moqueries et une communauté plus importante en tant que société ne saurait absolument exister sans une pareille victime ou plusieurs d'entre elles.
Toujours vouloir tout changer, c'est un besoin insatiable, un plaisir infâme, et cela mène aux plus pénibles déchirements.
Ce qui est poétique m'est suspect parce que cela éveille dans le monde l'impression que le poétique est la poésie et, inversement, que la poésie est poétique. La seule poésie, dis-je, est la nature, la seule nature est la poésie.
Notre vie durant, nous remettons à plus tard les grandes questions jusqu'à ce qu'elles soient devenues une montagne de questions et nous assombrissent. Mais alors il est trop tard.
La guerre est la poésie de l'homme avec laquelle, toute sa vie, il demande attention et soulagement.
Il n'y a pas d'homme sans la détresse humaine.
Je cours sans cesse derrière moi-même ! Vous pouvez imaginer ce que c'est que de s'ouvrir soi-même comme un livre et d'être obligé d'y découvrir des tas de fautes d'impression, l'une après l'autre, les coquilles qui fourmillent.
Les médecins élèvent des remparts, ils dressent entre les malades et eux la muraille de l'incertitude, incertitude qui, si elle n'existe pas naturellement, est quand même artificiellement créée.
Il n'y a, vous le savez, d'autre force que celle de l'imagination. Tout est imaginé. Mais imaginer est astreignant, mortellement astreignant.
Les gens falsifient tout, ils falsifient jusqu'à l'enfance qu'ils ont eue. Ils disent, j'ai eu une belle enfance, et ils n'ont tout de même eu que l'enfer.
L'homme c'est le malheur. Il n'y a que les sots pour prétendre le contraire. C'est un malheur que de naître et aussi longtemps que nous vivons, nous ne faisons que prolonger ce malheur, seule la mort y met un terme.
Les professeurs ont toujours été, dans l'ensemble, les empêcheurs de vivre et d'exister, au lieu d'apprendre la vie aux jeunes gens, de leur déchiffrer la vie, de faire en sorte que la vie soit pour eux une richesse en vérité inépuisable de leur propre nature, ils la leur tuent, ils font tout pour la tuer en eux.
Avouons-le, les têtes qui nous sont la plupart du temps accessibles sont inintéressantes, nous n'en tirons guère plus que si nous nous trouvions en compagnie de pommes de terre hypertrophiées, qui, plantées sur des corps souffreteux affublés de vêtements d'un goût discutable, traîneraient une existence piteuse, mais hélas pas du tout pitoyable.
L'ensemble des gens ne se donnent du mal, dirait-on, qu'aussi longtemps qu'ils peuvent attendre des diplômes stupides avec lesquels ils peuvent se pavaner en public, lorsqu'ils ont en main un nombre suffisant de ces diplômes stupides, ils se laissent aller.
Car les gens qui travaillent à des productions de l'esprit disent très souvent qu'ils n'y attachent aucune importance et y attachent au contraire beaucoup d'importance, sauf qu'ils n'en conviennent pas parce qu'une telle prétention comme ils l'appellent, leur ferait honte, ils dévalorisent leur travail pour éviter du moins d'avoir à se faire honte publiquement.
J'ai toujours dérangé et j'ai toujours irrité. Tout ce que j'écris, ce que je fais est dérangeant, irritant. Ma vie entière en tant qu'existence n'est rien autre qu'une volonté constante de déranger et irriter. En attirant l'attention sur des faits qui dérangent et irritent.
Lorsque nous causons avec un professeur, nous découvrons bientôt que, par mécontentement de soi, il a un caractère à détruire les hommes, oui, à détruire le monde en fin de compte, tout comme lorsque nous nous entretenons avec un juge.
Le sport amuse les masses, leur bouffe l'esprit et les abêtit. Les dictateurs avant tout savent bien pourquoi ils sont toujours et dans tous les cas en faveur du sport. Qui est pour le sport a les masses de son côté, qui est pour la culture les a contre elles. C'est pourquoi tous les gouvernements sont toujours pour le sport et contre la culture.
J'évite la littérature autant que je peux, parce que je m'évite moi-même autant que je peux.
L'admiration rend aveugle, elle rend l'admirateur stupide.
Ceux qui étudient dans un institut accordent toujours moins de valeur qu'il n'en a à leur propre institut et lorgnent en direction de l'institut concurrent.
Toute notre vie nous nous reposons sur les grands esprits, sur les soi-disant maîtres anciens, et alors nous sommes mortellement déçus par eux, parce qu'ils ne remplissent pas leur office au moment décisif.
Incroyable, la rapidité avec laquelle la meilleure relation, quand on lui demande plus qu'elle ne peut donner, se détériore et finit par se consumer entièrement.
Entrer dans la nature et inspirer et expirer dans cette nature, et être effectivement et pour toujours chez soi uniquement dans cette nature, c'était cela, il le sentait, le bonheur suprême.
Tout, chez tout le monde, n'est que divertissement, dérivatif à la mort.
Nos pensées s'affrontent en nous. Les unes plus agressives que les autres, dit-il. Elles concluent souvent des alliances comme le font les hommes, pour, peu après, ne pas les respecter. Être compris et vouloir être compris : une imposture. Basée sur toutes les erreurs des sexes.
Celui qui a volé vingt schillings est poursuivi par la justice et incarcéré, celui qui a détourné des millions et des milliards, et qui a rang de ministre, dans le meilleur des cas est chassé moyennant une retraite colossale et oublié tout aussitôt.
Le monde est essentiellement surréel.
Les historiens d'art sont les véritables destructeurs de l'art. Les historiens d'art bavardent sur l'art jusqu'à ce qu'ils l'aient tué de leur bavardage.
L'homme cultivé croit toujours qu'il se doit de protéger la nature alors qu'en fait, il est totalement dominé par cette dernière.
Les poètes et les écrivains ne doivent pas être subventionnés, encore moins par une Académie elle-même subventionnée, ils doivent être livrés à eux-mêmes