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Quand j'ai débuté, je pensais que les hostilités mouraient avec l'être détesté. Mais les pierres tombales n'enferment pas la haine. J'ai assisté à des enterrements sans larmes. J'ai même assisté à des enterrements heureux. Il y a des morts qui arrangent tout le monde.
Valérie Perrin
Ma grand-mère m'a appris très tôt comment cueillir les étoiles : la nuit il suffit de poser une bassine d'eau au milieu de la cour pour les avoir à ses pieds.
Vous savez, quand on a perdu la personne qu'on aimait le plus au monde, on la perd tous les jours.
Les jeunes, je préfère les connaître vivants, pénibles, bruyants, saouls, stupides, que voir des gens suivre leur cercueil, courbés par le chagrin.
Mais moi, j'étais pleine de silences qui hurlaient au fond de moi. Qui m'ont fait grossir, maigrir, vieillir, pleurer, dormir toute la journée, boire comme un trou, me cogner la tête contre les portes et les murs. Mais j'ai survécu.
Avant la lecture, sa vie se résumait à des gestes quotidiens, habituels, qui la plongeaient dans un profond sommeil à la fin de la journée, comme un cheval de trait abruti de fatigue. Maintenant, ses nuits sont peuplées de rêves, de personnages, de musique, de paysages, de sensations...
Je change de chaîne. Si seulement je pouvais changer de vie en appuyant sur ma télécommande.
Il faut apprendre à donner de votre absence à ceux qui n'ont pas compris l'importance de votre présence. La mort ne prend pas de temps de pause.
L'amour ne supporte aucune explication.
Ce jour-là, j'ai compris que les anciens, il suffit de les toucher, de leur prendre la main pour qu'ils racontent. Comme quand on creuse un trou dans le sable sec au bord de la mer, l'eau remonte systématiquement sous les doigts.
En le regardant, je me demande pourquoi on tombe amoureux. Moi qui passe mes journées à écouter des histoires, je suis bien placée pour savoir que l'amour ne supporte aucune explication.
Pourquoi les choses arrivent-elles quand on ne les attend plus ? Pourquoi tout est une question de moment ?
Il ne se mariera jamais. Jamais il ne passera d'alliance autour de l'annulaire d'une femme. Jamais il ne demandera à une femme de lui jurer fidélité. Pas après ce qui est arrivé à ses parents. Jamais personne ne viendra au banquet de sa noce. Son père le traite souvent d'anarchiste parce qu'il critique l'armée, les hommes politiques, la peine de mort, les curés et le mariage.
On a forcément envie de vivre avec quelqu'un qui vous regarde.
Les animaux domestiques devraient être obligatoires en maison de retraite. Et même remboursés par la Sécurité Sociale.
Le livre de la vie est le livre suprême, qu'on ne peut ni fermer ni rouvrir à son choix, on voudrait revenir à la page où l'on aime, et la page où l'on meurt est déjà sous nos doigts.
Si les gens n'avaient plus rien à se reprocher, il n'y aurait personne sur les bancs de votre église.
C'est un luxe d'être propriétaire de son temps. Je pense que c'est un des plus grands luxes qu'un être humain puisse s'offrir.
Comme on me dit tout le temps que quand un vieux meurt, c'est une bibliothèque qui brûle je sauve quelques cendres.
Elle lui affirme que chaque être humain est relié à un oiseau. Et que certaines personnes ont le même. Il suffit d'observer le ciel pour voir que son oiseau n'est jamais loin. Elle dit que les oiseaux ne meurent pas, qu'ils se donnent à l'infini. Dès qu'on met un oiseau en cage, un homme devient fou.
Quand on est petit, tous les grands sont des vieux.
Mon amour, la première fois que je t'ai embrassée j'ai senti un battement d'ailes contre ma bouche. J'ai d'abord cru qu'un oiseau se débattait sous tes lèvres, que ton baiser ne voulait pas du mien. Mais quand ta langue est venue chercher la mienne, l'oiseau s'est mis à jouer avec nos souffles, c'était comme si on se le renvoyait de l'un à l'autre.
Il faut écouter dans l'urgence parce que le silence n'est jamais loin.
J'ignorais l'existence de ce son, de cette note à l'intérieur de moi. Je me sens comme un instrument de musique qui posséderait une touche en plus. Un défaut de fabrication salutaire. Est-ce que c'est ça, la jeunesse ? Est-ce possible de faire connaissance avec elle à bientôt cinquante ans ?
Quand j'étais jeune, j'ai voulu faire comme tout le monde, je me suis mariée. En voilà une belle connerie, une idée stupide : faire comme tout le monde.
Une vie ne se refait jamais. Prenez une feuille de papier et déchirez-la, vous aurez beau recoller chaque morceau, il restera toujours les déchirures, les pliures et le scotch.
Il lui avait aussi dit qu'il y a plus d'étoiles dans le ciel que de grains de sable dans le Sahara. Elle l'avait aimé pour cela. Pour toutes ces choses qu'il lui avait apprises, à elle, la petite fille de l'atelier de couture condamnée à ne jamais rien savoir si elle ne l'avait rencontré.
On dirait que mon visage n'a pas encore fait de choix, qu'il n'a pas fini de se dessiner. Ce que je ne trouve pas joli chez moi, je me dis qu'un jour ce sera la beauté de quelqu'un.
Mes souvenirs ont perdu la mémoire.
Il faut mettre de la vérité dans ses rêves, ou le contraire.
Nous avons tous deux vies, une vie où l'on dit ce que l'on pense et une vie où on la ferme. Une vie où les mots passent sous silence.
Ces gens qui viennent chaque jour sur les tombes, ce sont eux qui ressemblent à des fantômes. Qui sont entre la vie et la mort.
Ce que je ne trouve pas joli chez moi, je me dis qu'un jour ce sera la beauté de quelqu'un. Quelqu'un qui m'aimera et qui deviendra mon peintre. Ce sera celui qui me continuera. Qui me fera passer du brouillon au chef d'oeuvre si j'ai une grande histoire d'amour. On est tous le Michel-Ange de quelqu'un, le problème c'est qu'il faut le rencontrer.
Le passé est le poison du maintenant. Ressasser, c'est mourir un peu.
L'alliance encercle le seul doigt qui possède une veine allant vers le coeur.
A part quelques exceptions, les fils passent de temps en temps. Souvent accompagnés de leur femme. Les filles, elles, elles passent tout le temps. La plupart des oubliés du dimanche n'ont que des fils.
Pourquoi va-t-on vers des livres comme on va vers des gens ? Pourquoi sommes-nous attirés par des couvertures comme nous le sommes par un regard, une voix qui nous paraît familière, déjà entendue, une voix qui nous détourne de notre chemin, nous fait lever les yeux, attire notre attention et va peut-être changer le cours de notre existence ?
Je déteste les fleurs artificielles. Une rose en plastique ou en synthétique, c'est comme une lampe de chevet qui voudrait imiter le soleil.
Je suis une infirme des sentiments possibles. Seules les choses qui ne pourront jamais exister m'intéressent.
J'aime donner la vie. Semer, arroser, récolter. Et recommencer chaque année. J'aime la vie telle qu'elle est aujourd'hui. Ensoleillée. J'aime être dans l'essentiel.
Apprendre à lire c'est comme apprendre à nager. Une fois que les mouvements de la brasse sont acquis, que la peur de se noyer est passée, traverser une piscine ou un océan revient au même. C'est juste une question de souffle et d'entraînement.
Mon présent est un présent du ciel. C'est ce que je me dis chaque matin, quand j'ouvre les yeux.
Qu'on entre dans un café ou chez un médecin, c'est que l'on veut se faire soigner de la solitude.
Les vieux, comme ils n'ont plus que ça à faire, ils racontent le passé comme personne. Pas la peine de chercher dans les livres ni les films : comme personne.
C'est important de mettre des photos sur les tombes. Sinon on n'est plus qu'un nom. La mort emporte aussi les visages.
Une femme sait tout de sa rivale. Ses habitudes, son parfum, ses goûts. Quand un amant débarque chez sa maîtresse, il doit se sentir en vacances, pas à la baraque.
J'adore rire de la mort, me moquer d'elle. C'est ma façon de l'écraser. Comme ça, elle fait moins son importante. En me jouant d'elle, je laisse la vie prendre le dessus, prendre le pouvoir.
Parler de toi, c'est te faire exister, ne rien dire serait t'oublier.
En lisant, elle croque dans un fruit qu'elle a convoité pendant des années et sent enfin son nectar sucré couler dans sa bouche, sa gorge, sur ses lèvres, ses doigts.
J'ai la nostalgie, la nostalgie de ce que je n'ai pas encore vécu.